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Musée Hassiba Benbouali

by Archi Mag

ArchiMag reprends l’aventure d’un musée en Algérie qui n’a jamais vu le jour. L’expression architecturale si forte au milieu d’une grand pleine de ce musée est une leçon sur la manière d’intervenir dans un site si singulier. Nous relatons les faits à travers deux regards croisés : Christophe Leray et Salim Mesbah :

Premier regard : Christophe Leray, Chroniques Architecture

L’histoire est étonnante. C’est un maître d’ouvrage privé, d’origine algérienne et habitant Paris qui contacte Rudy Ricciotti pour un projet de musée dédié à Hassiba Benbouali, une militante du Front de Libération nationale (FLN) durant la guerre d’Algérie. Née le 20 janvier 1938 à Sendjas près d’Orléansville en Algérie, elle est morte les armes à la main le 9 octobre 1957 dans la Casbah lors de la bataille d’Alger. A nouveau, le poids de l’histoire dans ce qu’il a de moins aisé, de moins pratique, de moins consensuel.

Pour le maître d’ouvrage, pourquoi choisir Ricciotti ? Parce qu’il est né en Algérie ? Et, pour Ricciotti, pourquoi accepter un tel projet ? Après tout, c’est bien le FLN qui a fini par mettre les Français dehors justement. Ce qui justifie le choix de l’un et de l’autre est peut-être justement qu’en ces périodes réactionnaires, le symbole d’un mémorial consacré à une musulmane combattant les armes à la main pour la liberté a de quoi faire frémir les barbus et se retourner dans leur tombe les factieux de l’Organisation Armée Secrète (OAS). Sans doute que le rappel à l’histoire est salutaire et il faut des hommes courageux pour s’emparer ainsi d’un tel sujet. Cela écrit, les «évènements d’Algérie» comme on dit en France, ce pays qui multiplie les mémoriaux de toutes les guerres, grandes et petites,*** appartiennent-ils désormais à l’histoire ?

Peut-être pas tant que ça puisqu’il y a fort à parier que ce bâtiment ne se fera pas. Pas celui-là en tout cas, pas par Ricciotti, pas par un Français né en Algérie, d’autant qu’il y a belle lurette que le FLN a viré sa cuti révolutionnaire et laïque. Mais rien n’interdit d’y croire, il y a bien des femmes dans le gouvernement algérien. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité le publier. Car ici, si l’extérieur de l’ouvrage est défensif et le passage d’entrée, indirect, étroit et lourd de décades de non-dits, l’intérieur est une ode aux espoirs d’Hassiba Benbouali et aux valeurs pour lesquelles elle a combattu. La raison justement pour laquelle d’autres jurys, outre Méditerranée, feront peut-être à leur tour l’impasse au sujet de ce projet engagé ?

En voici donc la présentation par l’architecte.

«La parcelle s’inscrit dans un vaste cadre urbain en évolution. La ville de Chlef s’étend vers le sud selon un plan directeur d’envergure. Le musée Hassiba Benbouali s’installe à la pointe Sud de ce nouvel aménagement. Il apporte un récit différent dans le paysage désertique de cette banlieue.

Le bâtiment tranche volontairement parmi les autres constructions. Sa silhouette massive et minérale, quasi-mystique étonne et questionne son environnement. Elle évoque un anachronisme, un vestige de l’histoire algérienne récemment sorti des sables.

La première confrontation interpelle face à cette masse insaisissable. Ces murs, de brique rouge – un appel direct à la terre du site – restent solides et indéchiffrables le jour. De nuit la myriade d’ouvertures la transforme en un objet de rêve, léger, se confondant avec le ciel étoilé.

Sur l’une des faces on découvre un mur qui s’écarte. Délicat, cet espace invite le spectateur à se glisser dans cette sculpture de brique rouge.

A l’intérieur une ambiance sombre permet d’apprécier le patio. Dissimulé depuis l’extérieur il s’offre pleinement ici. Il constitue le cœur du bâtiment, toujours visible, telle une oasis de lumière et de nature. Sa matérialité se distingue des autres éléments. Une tension naît du contraste entre cette lumière presque religieuse et la masse primitive du bâtiment.

Intrigant et paisible l’intérieur laisse l’aménagement créer l’événement autour du patio. Les salles d’expositions, de dessin, de danse, de conférence et de débat dialoguent toutes avec ce cœur de nature. L’esprit de ce lieu d’échange est d’évoluer en fonction des évènements qu’il accueillera. Dans cette optique les plateaux restent libres. L’ambiance scénographique pourra être optimisée par des voilages et des systèmes d’accroche au plafond.

Le cheminement vertical se fait à travers une rampe qui suit les murs inclinés. Le patio est toujours visible depuis la rampe, on tourne autour des espaces sans les perdre de vue. Ce chemin dans le musée laisse le temps de s’imprégner de la force du lieu.

Arrivé sur le toit le spectateur respire, s’extrait de l’obscurité intérieure mystique et redécouvre le paysage algérien. Lieu de débat, d’échange ou de réception, cette terrasse fait partie intégrante de l’expérience du musée. L’architecture et l’histoire d’Hassiba Benbouali agissent comme une chrysalide. Le spectateur ressort changé, l’esprit ouvert à une Algérie libre et indépendante».

Ou comment un projet non construit permet de revisiter Rivesaltes et la violente passion de Rudy Ricciotti dans sa relation intime à l’histoire.

Circonstances d’un musée qui n’a jamais vu le jour
Par Salim Mesbah, Radio M

Peu importe son nom. Il a tenu à garder l’anonymat. Appelons le Nadir ! C’est un citoyen algérien , patriote il s’identifie comme cela, un chirurgien encore en fonction en région Ile-de-France, qui a commandé, en 2015 et à titre personnel, à l’architecte Rudy Ricciotti un plan pour la réalisation d’un « complexe culturel-Musée consacré » à Hassiba Ben Bouali, cette icône de la bataille d’Alger, morte déchiquetée par des bombes dans la Casbah d’Alger.

Commence alors une longue période pour Nadir à la recherche d’une assiette de construction à El-Asnam susceptible d’accueillir le projet. Il réussit à décrocher un rendez-vous avec M. Aboubakr Seddik Boucetta l’ex Wali d’El-Asnam de 2014 à 2017. Accompagné par un représentant du cabinet de Rudy Ricciotti et d’une algérienne travaillant pour le Mucem de Marseille, il lui explique longuement les intérêts de ce projet qui ne se limite pas à un simple musée dédié à Hassiba, mais à un vrai centre culturel pour lequel il souhaitait que chaque algérienne et algérien se l’approprient. Ainsi l’équipe avait envisagé d’associer à chaque étape de sa réalisation les jeunes collégiens, lycéens, en formation professionnelle et autres pour qu’ils apportent leurs contributions symboliques en maçonnerie, en plomberie, en décoration ou tout autre secteur du bâtiment. L’idée étant de bâtir ensemble un projet pour tous qui demeure pour les générations futures et qui soit à la hauteur du legs que nos valeureux chouhadas nous ont transmis.

La wali a été très attentif à l’argumentation du projet, mais aucune suite n’a été donnée ce d’autant qu’il a été muté et remplacé par M. Faouzi Benhoussine le nouveau wali d’El-Asnam.

Nadir essaye de nouveau de prendre contact avec ce nouveau Wali. Toutes les demandes d’audience ont été refusées. Il s’est présenté lui-même à la wilaya d’El-Asnam dans l’espoir d’être reçu. En vain.

Il a fini par abandonner ce projet d’intérêt public qui lui tenait à cœur. Las !

Il était convaincu qu’il n’aura pas de mal à recueillir les fonds nécessaires pour la réalisation de ce projet de « Centre culturel » dédié à Hassiba Ben Bouali. Et donc il ne sollicitait pas les autorités locales pour son financement mais juste pour trouver l’assiette de construction la plus adaptée pour un projet socio-culturel puisque les plans de ce centre ont déjà été financés par lui-même.

Que ce soit pour Hassiba ou d’autres résistants de la Guerre de libération, on leur doit nos libertés. Et à ce titre ils méritent d’être honorés dans leurs villes respectives, car Alger ne devrait pas être la seule ville où la mémoire est conservée. Trop de dépenses farfelues ont été pointées en Algérie.

Certes, une statue à la mémoire de Hassiba a bien été édifiée à El-Asnam au niveau d’un grand carrefour un peu excentré du centre-ville. Mais elle est loin d’être à la hauteur de la mémoire de cette immense femme, qui voulait soigner ses semblables plus que tuer ses ennemis. L’histoire en a décidé autrement.

Ce centre culturel imaginé par l’architecte de renommé international R. Ricciotti aurait permis déjà de faire connaitre notre région au monde et aurait surtout permis aux jeunes générations de connaitre le parcours de cette femme dont on gardera en mémoire, en plus de sa résistance au colonialisme, son émouvante lettre à ses parents avant sa mort tragique.

C’est T. Todorov qui disait « La vie est perdue contre la mort, mais la mémoire gagne dans son combat contre le néant. »

Nous ne pouvons que regretter qu’un tel projet n’ait pas vu le jour.

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