Par : Nader Meddeb
Colloque International : Arabisance et Néo-Maureque, Rapport de l’architecture moderne au Maghreb à la tradition et au patrimoine.
Organisé par :
ArchiMag, Magazine Maghrébin d’Architecture en Ligne,
UR « Villes historiques de la Tunisie et de la Méditerranée » ( Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, Tunis.
« L’étude des arts musulmans, et cela est capital, est une création occidentale du XIXe siècle européen, qui s’est élaborée sans appuis ni contrepoids dans le monde musulman même, l’histoire critique de cette discipline reste encore à faire » (Grabar, 1996, p. 25). Ce témoignage d’Oleg Grabar résume la situation actuelle qu’affronte l’examen des arts islamiques conjointement à une tendance stylistique née, depuis le XVIIe siècle, d’une migration des formes orientales vers des territoires occidentaux. Quand les arts de l’Islam, et en particulier l’œuvre bâtie, ont commencé à se faire une place dans l’histoire de l’art et de l’architecture, leur institution se fondait en grande partie sur les récits de voyages dont le contenu allait de pair avec les conquêtes et l’établissement des colonies. En relativisant le concept de norme et en réinventant celui de style, les premières pages de l’histoire de l’architecture islamique étaient désormais en place dés le premier tiers du XIXe siècle. Fut alors, selon cette formule extraite de l’« Itinéraire de Paris à Jérusalem » de Chateaubriand, une « architecture du désert, enchantée comme les oasis, magique comme les histoires contées sous la tente, mais que les vents peuvent emporter avec le sable qui lui servit de premier fondement » (Chateaubriand, 1859, p. 72). Elle a dû reposer, en profondeur, sur un imaginaire romantique hérité du XVIIIe siècle, en plus d’un précédent idéologique revendiquant la suprématie des arts antiques. Du défenseur de ces derniers ; Quatremère de Qunicy (1755-1849), aux cours de l’histoire de l’architecture de Jean-Nicolas Huyot (1780-1840) à l’école des Beaux-arts, en passant par les œuvres écrites et construites de John Ruskin (1819-1900) et Viollet-le-Duc (1814-1879), l’architecture islamique était tantôt une inspiration byzantine et l’ancêtre directe de l’architecture gothique, tantôt réduite à un amas de motifs décoratifs dits arabes ou orientaux. Une telle attitude a dû évoluer au rythme des voyages et des expéditions militaires intégrant, peu à peu, étudiants et professionnels de l’architecture. À
partir de 1840, carnets de croquis, dessins de voyages, planches d’étudiants, etc., sont offerts pour alimenter les premiers rayons des bibliothèques dédiés à l’art et l’architecture islamiques, cas de la bibliothèque de l’école des Beaux-arts (1863) et celle de l’Union Centrale des Arts Décoratifs (1878). De ce répertoire plus ou moins précis de détails architectoniques, et parallèlement à une mode naissante, est née en Europe une architecture éclectique qui n’a qu’un rapport lointain avec les documents publiés. Le principal été de satisfaire une forte demande de produits « exotiques » dont la référence puise, entre autres, dans la littérature et la peinture orientalistes promus essentiellement par les Français et les Anglais.
Parallèlement à l’extension des empires coloniaux, des expositions universelles étaient organisées pour reproduire les « couleurs locales » et doter les Occidentaux d’une meilleure connaissance de l’Autre. Au sein de ces expositions, il y a eu la découverte de nouvelles formes orientales, notamment, maghrébines. Conséquemment, un néo-style s’est rapidement répandu en Europe avant d’être calqué sur les façades des villes européennes nées au seuil même des médinas indigènes.
Certes, la tendance en vogue a su plaire aux assoiffés d’orientalisme, néanmoins, une critique positiviste n’a pas tardé à se soulever contre un mouvement, de plus en plus lié aux manipulations coloniales. La volonté de rompre avec la surcharge du romantisme et de mener une réflexion sur les rapports de l’interprétation à la source a coïncidé avec les premiers jets du mouvement moderne. L’appel au rationalisme formel et fonctionnel a ainsi repositionné, architectes et théoriciens de l’architecture, par rapport à une nouvelle définition de l’ornement.
L’énergie intellectuelle s’est tourné vers le modèle philosophique où la dimension esthétique lui été exclusive depuis Platon et Aristote, réinventée par Hegel et Kant, et prise peu après comme une discipline à part entière dans la philosophie occidentale. Il a bien fallu attendre les dernières décennies du XXe siècle pour voir apparaitre les premiers ouvrages réflexifs dédiés à l’architecture islamique. Peu nombreux, ils insistent sur un retour aux sources, vers les fondements philosophiques et théologiques tissés par des auteurs comme Al-Ghazali, Ibn AlArabi et bien d’autres penseurs d’un âge d’or jusqu’à présent peu revisité.
En revanche, alors que les arts de l’Islam commençaient à assoir les piliers d’un projet philosophico-réflexif, les études récentes d’une littérature comparée ont suscité le retour aux périodes d’occupation, et notamment les limites d’une instrumentalisation des arts au profit du projet colonial. Les néo-styles de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, en l’occurrence le néo-moresque, semblent avoir participé, de près, au projet colonial et leur étude se voit de plus en plus liée au discours politique y afférant. En outre, l’émergence du concept d’authenticité parallèlement à la notion du patrimoine, a éveillé le questionnement autour de la valeur historique d’un paysage métisse, a fortiori, pris par plusieurs comme une solution modernisatrice des arts indigènes. En oscillant entre l’originel et l’original, la production architecturale postcoloniale se voit déchirée entre l’acceptation et le refus d’une référence arabisante, désormais, partie prenante de l’histoire architecturale des anciennes colonies.
Loin de canaliser de cette réflexion vers une forme d’occidentalisme, nous nous proposons de dresser le portrait de ce néo-style par référence à quelques participations clés du pavillon tunisien dans les expositions universelles. Notre choix se fonde sur deux points : puisque ce style ambivalent est né en Europe, vaut mieux chercher à le comprendre au-delà des colonies qui n’ont fait que subir son infiltration, de plus, le pavillon, avant et après la colonisation, se présente comme l’accomplissement d’un modèle à suivre, donc la synthèse qui découle d’un degré d’assimilation des architectures indigènes. Pour se faire, une première partie est dédiée à une remise en question des appellations « arabisances » et « néo-mauresque » parallèlement à un paradigme montant ; l’orientalisme architectural. Une seconde partie est consacrée aux caractéristiques du néo-style et leur évolution dans le temps et dans l’espace. Une troisième et dernière partie se veut un arrêt sur un pavillon exemplaire de la période postcoloniale ainsi qu’une réflexion sur la valeur authentique de l’héritage légué par le protectorat.
1- « Arabisances » versus orientalisme architectural : naissance d’un paradigme.
Dans un texte publié en 1983 (1) , où François Béguin approfondissait les résultats d’une recherche faite en 1977 sur la « multiplicité de plissements architecturaux qui stratifient les paysages construits par la France à différentes époques de son histoire » (Béguin, 1983, p. 1) en Afrique du Nord, l’auteur proposait le terme « arabisances » pour désigner un répertoire de formes architecturales, largement variées, d’inspiration « arabe ». « […] Pour caractériser un air de famille, nous disait-il, nous avions rassemblé sous ce mot de très nombreuses traces d’arabisation des formes architecturales importées d’Europe. » (Béguin, 1983, p. 1). Sont alors des formes architecturales nées en Europe puis repeintes sur une toile de fond nord-africaine parallèlement à l’installation de la colonisation française. Une telle définition nous ramène tout droit vers « le style café », dit encore, néo-mauresque qui semble partager les mêmes caractéristiques des « arabisances ». Si nous avons à le définir, le néo-mauresque serait une réactualisation du style mauresque et caractérisé par la greffe d’un décor extrêmement chargé, inspiré des turqueries, du palais de l’Alhambra et d’une ornementation locale arrachée aux intérieurs et agencée sur les façades des constructions européennes pour des raisons esthétiques, omission faite de sa valeur signifiante initiale. Il est communément connu par l’étiquette « style Jonnart » par référence au gouverneur de l’Algérie Charles Célestin Auguste Jonnart (1857-1927). C’est en grande partie à Jonnart que revient l’impulsion d’un art officiel néo-algérien se voulant la conciliation entre les cultures arabo-islamique locale et française. Le gouverneur y voyait le manifeste de sa politique culturelle indigène tant conseillée aux colons dans son rapport de 1892 où il exhortait à l’établissement de meilleurs rapports entre les populations européennes et autochtones (Oulebsir, 2004, p. 335). Le style Jonnart est aussi nommé par certains auteurs ; style hispano-mauresque, arabo-andalou, arabo-islamique, oriental, turco-andalou, etc., l’appellation même de cette forme d’ « arabisances » pose problème. Nous le voyons nettement dans l’attitude de plusieurs historiens de l’architecture et des arts connexes aux arts de l’Islam qui, pour échapper à la frivolité d’une lecture indécise amassant un vocabulaire stylistique amplement varié, se voient obligés de consacrer une partie de leurs introductions, et parfois un chapitre ou deux, à la délimitation des aires géographiques et temporelles à l’étude. C’est le cas de Béguin dans l’indication « la présence française en Afrique du Nord ». L’est aussi dans l’introduction que donne Dominique Clevenot à son « Esthétique du voile : essai sur l’art arabo-islamique » (2) (1994). Oleg Grabar en a fait de même dans les deux premiers chapitres de « La formation de l’art islamique » (1987). Cependant, en dépit de ces précisions, la critique demeure présente et des questions ayant trait aux origines stylistiques et spatiotemporelles des « arabisances », souvent prises dans le contexte des « islamophilies », terme que nous empruntons à Rémi Labrusse, demeurent soulevées. Dans ce sens, l’historienne Valérie Gonzalez, auteure de « Beauty and Islam : aesthetics in Islamic Art and Architecture », remet en question dans un texte critique publié dans la « Revue du monde musulman et de la Méditerranée » (3) plusieurs choix que D. Clevenot en a fait la base de son essai. À commencer par la référence aux textes des érudits voyageurs du XIXe siècle dont la subjectivité ne peut être contestée, en passant par l’inexactitude et parfois la contradiction des données historiques, pour enfin déboucher sur une critique de la scientificité de l’approche méthodologique adoptée, Valérie Gonzalez atteste de « l’état actuel de l’approche esthétique de cet art qui demande à être redéfinie et abordée en terme de problématique scientifique » (Gonzalez, 1994, p. 134).
Il a bien fallu attendre novembre 1978 pour qu’il y ait apparition de l’ouvrage évènement d’Edward Saïd (1935-2003) ; « Orientalism ». Traduit en français sous l’intitulé ; « L’orientalisme : l’Orient crée par l’Occident », le traité de Saïd est considéré comme l’étincelle fondatrice des Postcolonial studies à l’issue desquelles un bouleversement paradigmatique est de mise. Même si plusieurs lui reprochent d’avoir déclenché un fléau antiorientaliste, un occidentalisme à caractère « rhizomatique » (4), sa thèse ne cessait de se ramifier en incluant tous les domaines des arts affectés par cette pensée. L’orientalisme, qui depuis 1826 est le « système de ceux qui prétendent que les peuples occidentaux doivent à l’Orient leur origine, leurs langues, leurs sciences », puis en 1840, la « science des choses de l’Orient », ensuite en 1846, toute « imitation des mœurs de l’Orient ; goût des choses de l’Orient » (5), devient avec la thèse de Saïd : « L’institution globale qui traite de l’orient, qui en traite par des déclarations, des prises de position, des descriptions, un enseignement, une administration, un gouvernement : bref, l’orientalisme est un style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur
l’Orient. […] L’orientalisme est donc une science de l’Orient qui place les choses de l’Orient dans une classe, un tribunal, une prison, un manuel, pour les analyser, les étudier, les jugers, les surveiller ou les gouverner. […] L’orientalisme est en fin de compte une vision politique de la réalité, sa structure accentue la différence entre ce qui est familier (l’Europe, l’Occident, « nous ») et ce qui est étranger (l’Orient, « eux ») » (Saïd, 2005, p. 15, 56, 59).
Depuis, un orientalisme positiviste est en spécialisation continue. Dans « les choses » de l’Orient, il y avait, bien évidemment, les objets architecturaux de l’Orient dont l’étude a donné naissance à l’orientalisme architectural. Cette section de l’orientalisme puise dans les formes nées et développées en Occident avant d’être imposées, de façon hétéroclite à un paysage dit oriental. En plus, elle y additionne une visée géopolitique, résultat de la diffusion de cette mode parallèlement au projet colonial. Par conséquent, si nous avons à revenir sur la définition que propose Bégin pour les « arabisances », nous voyons clairement l’idée d’une importation des formes depuis l’Europe alors que l’aspect politique dont elle se charge demeure timidement reflété par la mention de ; « la présence française ». Même si F. Béguin y faisait allusion à travers des étiquettes comme « style d’État », « style du vainqueur » et « style du protecteur », la portée politique des « arabisances » demeure craintivement exprimée. En outre, force est de constater que le texte de F. Béguin reprend les résultats d’une étude faite en 1977, donc une année avant l’apparition de l’ouvrage de Saïd. Une autre question se pose : qu’appelle-t-on le paysage architectural arabisant que l’on croise en Grande-Bretagne et en Allemagne, puis transmis à leurs colonies respectives, pareillement à l’intervention française en Afrique du Nord ? Ne serait-il pas une « arabisance » comme d’autres ? Tel le montre l’historienne Lorraine Decléty dans sa distinction entre un orientalisme international style Alhambra et un autre national différent d’un pays à un autre (6), les « arabisances » seraient une forme d’orientalisme national, dit, dans ce cas de figure, orientalisme maghrébin.
Conséquemment, pour éviter, en premier lieu, les confusions citées ci-dessus par le recours à une plage de synonymes des « arabisances », et pour y annexer, en second lieu, le contexte politique de sa diffusion et les approches des études postcoloniales contemporaines, il est temps que l’orientalisme architectural puisse se substituer aux « arabisances ». Autrement dit, parce que les schèmes d’aperceptions collectives évoluent proportionnellement aux transformations paradigmatiques en vigueur, nous avançons l’hypothèse qu’il serait plus juste de désigner ce répertoire architectural d’importation par le concret d’un orientalisme architectural. De plus que, dans ces « arabisances », des inspirations turques et persanes viennent souvent alimenter le répertoire des formes, nous voyons dans le terme « arabisances », dérivé d’ « arabe », une reprise du stéréotype occidental réducteur d’une notion floue ; l’Orient, alors une construction édifiée à la base des contes des mille et une nuits, des peintures et des récits de voyages. La thèse d’Edward Saïd vient alors exiger un repositionnement par rapport aux œuvres orientalistes, notamment les limites de leur réalisme ethnographique, jadis pris, à la fin du XIXe siècle et durant le premier tiers du XXe siècle, pour une réalité irréprochable dans la description de l’Orient.
Puisque l’Orient est la création de l’Occident, et parce qu’il n’a existé que dans l’imaginaire de celui-ci, le couple antagoniste Orient/Occident n’est que l’abstraction d’une perception ethnologique traditionaliste du monde. Cette aire géographique s’étalant de Fès à Samarkand en passant par l’Espagne et la Grèce est assez hétérogène pour être réduite au seul Orient. Un proche, un moyen et un extrême ne sont que des corrections d’une terminologie réductrice d’une aire territoriale souvent dite, sous la plume hâtive de quelques auteurs, monde arabe (d’où les « arabisances »). Quant aux prémices de l’orientalisme architectural, il vaut mieux les chercher auprès de son créateur, cet Occident qui se voulait dès le début hétérogène (7).
2- De la mode au style, hybridité et ambivalence de l’orientalisme architectural :
Dans ses débuts, que l’on peut remonter au XVIIe siècle, l’orientalisme architectural est apparu sous forme d’une mode éphémère, un habit mauresque abondamment utilisé dans les espaces publics de loisirs, de fêtes et de détente avant de gagner la sphère des espaces privés de la villa balnéaire et des pavillons de jardins. L’émergence de l’orientalisme architectural est liée à un contexte de crise ornementale que vivait l’occident du XVIIIe siècle et qui s’est accentuée au XIXe siècle parallèlement à un discours élaboré sur l’art des pays islamiques (Necipoglü, 2007, p. 10). Loin de faire l’archéologie de l’orientalisme, nous nous contentons de préciser que des moments clés étaient, l’apparition de la version française des mille et une nuits (1704-1717) par son traducteur Antoine Galland, la création en 1782 de l’opéra Die Entführung aus dem Serail (L’Enlèvement au sérail) de Wolfgang Amadeus Mozart et les expéditions militaires de Napoléon Bonaparte (1769-1821) qui ont donné lieu à l’apparition des vingt volumes de la « Description de l’Égypte » (1809). Néanmoins, c’est en 1910, quand le ballet russe de Schéhérazade avait été présenté à Paris par Serge Diaghilev, qu’un engouement particulier pour les formes orientales avait absorbé les fortunés, hommes et femmes, de la société européenne. Le couturier Paul Poiret (1879-1944), auteur du style sultane (fig. 01), en a largement tiré profit pour s’ancrer le nom dans l’histoire du costume en libérant la femme européenne de son moule déformateur ; le corset en plus d’inciter sa clientèle à aménager chez eux un coin mauresque dont il était le décorateur fournisseur d’accessoires. Sa maison de décoration; « martine », connut à l’époque un grand succès et participa dans l’élargissement de la sphère des pratiques orientalistes. « Il lança également une ligne de parfums appelée « Rosine » et qui comprenait, entre autres noms, « Minaret », « Aladin », « Nuit de Chine » et « Antinéa ». » (Thornton, 1985, p. 18).
Au fil du temps, nous voyons se démocratiser cette mode qui migra des espaces de la haute couture et de la haute culture, à des environnements plus modestes. La mode orientaliste n’était plus l’apanage des milieux aisés comme elle ne se contentait plus d’habiller l’espace à l’instar d’une affiche ou d’une signature. Elle voulait se faire un territoire signifiant en élevant la simple signature au rang du symbole durable.
Quand une mode transitoire, un art mineur par excellence, a le privilège d’être adopté par un art majeur comme l’architecture, la mode n’est plus une simple signature, une affiche ou une tendance en vogue, la mode devient style. À commencer de cette phase, nous voyons entrer en harmonie les rythmes et les matières d’expression qui composent une mode. Devenu style, elle dénote d’une certaine maîtrise des motifs, comme elle atteste de l’ascension de son créateur au rang du « oiseau musicien », une formule que nous empruntons à Gilles Deleuze et Félix Guattari : « Ce qui distingue objectivement un oiseau musicien d’un oiseau non musicien c’est précisément cette aptitude aux motifs et aux contre-points qui, variables ou même constants, en font autre chose qu’une affiche, en font un style, puisqu’ils articulent le rythme et harmonisent la mélodie. » (Deleuze & Guattari, 1980, p. 391).
Pour ce qui est de l’orientalisme architectural, son passage de la mode au style s’est accompagné d’un élargissement et d’une vulgarisation de son répertoire formel proportionnellement aux nouvelles découvertes, notamment les registres nord-africains. La colonisation de l’Algérie en 1830 suivie par la Tunisie et le Maroc, a confronté les Européens à un nouveau paysage, un nouvel « Orient » simple, moins décoré que celui rencontré au Caire, en Espagne ou en Perse. En plus, la proximité des deux rives méditerranéennes a permis à plusieurs architectes et théoriciens, d’un coté, d’expérimenter concrètement le voyage, et d’un autre coté, de se repositionner par rapport à un antécédent orientaliste désormais en questionnement. Durant le premier tiers du XXe siècle, une seconde catégorie des consommateurs des arts indigènes voit le jour. Il s’agit d’un regard positiviste qui tend, inlassablement, à se débarrasser du préjugé orientaliste en restant le plus fidèle possible à l’expérience du voyage. Cependant, ceci n’a tout de même pas éliminé la présence d’une subjectivité têtue, qui malgré son contact direct avec les terres colonisées, est restée fidèle au dogmatisme académique de l’École des Beaux-arts, cas de la description que donne Jean-Nicolas Huyot dans l’un de ses cours sur la mosquée-madrasa de Barqûq (Égypte) : « C’est une architecture d’une construction solide et savante et d’une décoration particulière au goût de ce peuple, formée par l’usage des armes, des tentes, des tapis et de tous les équipages de campagne qui, dès l’origine, étaient avec les trésors enlevés sur l’ennemi, les seuls monuments de leurs conquêtes » (Huyot par Pinon, 2009, p. 19). Ce point de vue va de pair avec les stratégies coloniales dans leur définition des nouveaux rapports dominant/dominés et se voit clairement projeté à travers le phénomène événementiel des expositions universelles. Démarrées depuis 1851 en Angleterre sous la magie des glaces du Crystal Palace, c’est moyennant ce « tour du monde en un seul jour » que l’orientalisme architectural a annoncé au grand public l’adoption d’un nouveau répertoire stylistique originaire du Maghreb. Mieux affirmé dès l’exposition de 1867 à Paris, il était véhiculé par le biais des pavillons respectifs de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc.
2.1- Le style langue : sur l’usage des motifs décoratifs et la genèse d’une nouvelle langue.
« […] Un style n’étant pas une création individuelle, mais un agencement d’énonciation, on ne pourra pas l’empêcher de faire une langue dans une langue. » (Deleuze & Guattari, 1980, p. 123).
De la mode au style, l’orientalisme architectural s’est transformé en une langue que seul son inventeur en détenait la maîtrise. Maîtriser une langue récemment inventée revient à passer, en premier lieu, par la copie syntaxique plus ou moins identique pour donner, en second lieu, libre cours aux dextérités compositionnelle et métaphorique. De l’utilisation systématique des motifs architecturaux à l’instar des romantiques, à une rationalisation au profit d’un message plus clair, le style orientaliste a amplement participé dans l’affirmation du couple savoir/pouvoir. Il s’agit d’une langue particulière qui fait usage des lettres d’une langue étrangère, les recompose à son aise en créant sa propre syntaxe, pour finalement déboucher sur la création d’une langue dans une langue. Pourtant, faute est de croire que l’Européen a passé par la traduction de la langue locale avant d’en faire une autre. Quand le message initial que reflète l’agencement ordinaire des lettres et des mots se trouve défiguré, nous ne sommes certainement pas en présence d’une traduction. Il s’agit plutôt d’une nouvelle création qui admet son propre message et dont seules les lettres en fournissent un apparent de semblance avec la langue initiale. Telle est la situation des motifs/lettres et des compositions/mots et phrases que l’orientalisme architectural tend à mettre en œuvre. Finalement, nous nous résolvons à ce que l’indigène, qui pour un instant a cru pouvoir parler la nouvelle langue de par la familiarité de ses motifs, se trouve induit en erreur, en plus d’être forcé à jouer le traducteur. La nouvelle langue ne fait que travailler les intérêts de son créateur qui insiste à conserver une certaine distanciation par rapport à l’autre. Une attitude dominatrice et trompeuse se voit dissimulée derrière l’adoption des motifs et des matières d’expression locaux. Elle a tendance à gagner la confiance de l’indigène en s’approchant, visuellement, de son propre discours. « Cette floraison esthétique et l’intense activité architecturale qui l’accompagne ne sont pas alors l’effet d’une simple vogue, mais bien celui d’une politique concertée » (Oulebsir, 2004, p. 21). L’orientalisme architectural comme nouvelle langue, pure œuvre de l’Européen, atteste que celui-ci veut « être un étranger, mais dans sa propre langue, et pas simplement comme quelqu’un parle une autre langue que la sienne. Etre bilingue, multilingue, mais dans une seule et même langue, sans même dialecte ou patois. Être un bâtard, un métis, mais par purification de la race. C’est là que le style fait langue. C’est là que le langage devient intensif, pur continuum de valeurs et d’intensités. C’est là que toute la langue devient secrète, et pourtant n’a rien à cacher, au lieu de tailler un sous-système secret dans la langue. On n’arrive à ce résultat que par sobriété, soustraction créatrice. La variation continue n’a que des lignes ascétiques, un peu d’herbe et d’eau pure » (Deleuze & Guattari, 1980, p. 124-125).
Avant que la Tunisie ne devienne un protectorat français en 1881, elle fut représentée lors de l’exposition de 1867 (8) (fig. 02) par un pavillon confié à l’architecte Alfred Chapon (1834-1893) qui, selon certains auteurs, ne s’était jamais rendu dans la régence de Tunis. Ledit pavillon représentait une première phase du développement de la langue que parlaient les producteurs/consommateurs d’orientalisme, celle de la copie plus ou moins identique. La construction que l’on nommait « le palais du bey de Tunis » se voulait authentique malgré les différences. Édifié dans les jardins du champ de Mars, entre le quai d’Orsay et l’avenue de Suffern, à partir de matériaux locaux entre bois, pierre, marbre, plâtre, etc., le pavillon assurait une double satisfaction ; d’abord celle princière puisqu’il semble rester fidèle à la réalité de la résidence du bey au Bardo tout en exprimant la récente autonomie politique de la régence par rapport à l’Empire turc, ensuite celle des quelques mille visiteurs européens qui y trouvaient la référence inspiratrice du palais d’Alhambra. Tel le souligne Myriam Bacha, « […] si le pavillon du Bardo était d’après la plupart des auteurs, la copie exacte de la résidence du bey de Tunis, il constituait surtout une libre adaptation, éloignée de l’original et il rappelait davantage le palais de l’Alhambra, monument arabe de référence pour plusieurs générations d’Européens » (Bacha, 2005, p. 90-91).
A partir de l’exposition de 1889 à paris, la présence tunisienne dans cet évènement est intimement liée à l’installation du protectorat français dans la régence et la précision de son rôle au sein du nouveau territoire. L’importance de cette phase se voit dans la sélection, sous concours, du pavillon conçu par l’architecte archéologue Henri Saladin (1851-1923) pour la première exposition coloniale parisienne organisée depuis l’établissement du protectorat sur la régence de Tunis. Nous assistions, ainsi, à la seconde phase d’une maîtrise de la langue des formes : dépasser la seule bâtisse de référence pour parcourir tout un territoire avec un accent mis sur l’authenticité. En effet, sur les 3000 m² alloués à cette section située sur une esplanade dite des « Invalides », l’architecte avait amassé plusieurs figures de l’architecture tunisienne. Du nord au sud, la Tunisie se trouve résumée dans un palais inspiré du Bardo, de Dar El-bey et de la Zaouïa de sidi ben Azouz à Tunis, dans une cour intérieure rappelant celle de la mosquée du Barbier de Kairouan où sont exposées les mosaïques de Carthage, dans une maison du Djérid dont la brique séchée, avec les troncs de palmiers et les nattes du pavillon des forêts, repeignent le paysage des oasis tunisiennes, dans un bazar reprenant les souks des tailleurs et des parfums de la médina de Tunis, dans une medersa installée au pied d’un minaret de style ottoman et inspirée de la souleymaniya, et finalement, dans le stéréotype de la plupart des pavillons tunisiens ; la tente nomade. (Weiland, 2010, p. 45) (fig. 4, 5, 6). Henri Saladin, dont le rôle majeur dans la valorisation et la promotion des monuments islamiques ne peut être nié, semble avoir mis en avant les questions d’authenticité. Sa double formation d’archéologue et d’architecte, en plus de sa longue expérience issue de ses missions en Tunisie, lui ont conféré un intérêt particulier pour les arts indigènes. Son approche positiviste se voit nettement dans ses
ouvrages consacrés aux monuments islamiques, notamment ceux de la Tunisie ; Voyage en Tunisie (1894) (en collaboration avec René Cagnat) (1894), La mosquée Sidi Okba de Kairouan (1899), Le manuel d’art musulman (1907) (en collaboration avec Gaston Migeon, conservateur des objets d’art du Moyen Âge au Louvre), Tunis et Kairouan (1908), L’art ornemental hispanomauresque : l’Alhambra de Grenade (1920), etc.
Loin de faire fi des restrictions d’un cahier de charge qui imposait que « les constructions devront être de style tunisien et reproduire autant que possible des détails ou des parties d’édifices connus de la Tunisie », nous partageons l’avis de plusieurs auteurs qui ont fait de Saladin l’orientaliste, le meilleur candidat sélectionné pour mener à bien cette affaire. Certes, il s’agissait de l’un des rares architectes, pour ne pas dire le seul, qui se sont bien « imbibés » du paysage architectural tunisien. Néanmoins, le Saladin rationnel semble s’éclipser lors de la conception de ce pavillon. Nous remettons, ici, en question le rôle et la légitimité des approches érudites dont Edward Saïd leur reproche d’avoir accepté de jouer le jeu colonialiste et de participer dans l’enracinement des stéréotypes occidentaux. Henri Saladin ne s’est pas contenté de produire une miniville tunisienne qu’il était possible d’absorber compte tenu des conditions du cahier de charges. Il a, en outre, orientalisé les détails des édifices en leur octroyant d’autres fonctions adaptées aux besoins de l’exposition. En fin du compte, même si Saladin ne s’est jamais fait un orientalisme à lui, son expérience n’a fait avancer les enjeux de l’orientalisme architectural que d’un petit pas, préférant par là, être le porte-parole du message colonial.
2.2- L’orientalisme architectural ; pertinent vecteur du message colonial :
« Les expositions universelles sont les lieux de pèlerinage où l’on vient adorer le fétiche marchandise » (Benjamin, 1935, p. 52). De cette formule de Walter Benjamin, nous soulignons trois termes clés, ingrédients inéluctables pour toute dissertation ayant trait à l’ère capitaliste moderne ; pèlerinage, fétiche et marchandise. Du pèlerinage découle la notion du voyage rythmique, du fétiche nous pensons à l’hybride et de la marchandise nous songeons au travail et à l’accumulation des capitaux. Une partie du projet colonial se voit matérialisée dans ces trois thèmes des expositions universelles et précisément dans les pavillons des colonies.
D’une exposition à une autre, les pavillons européens se transforment et se thématisent conjointement aux nouvelles inventions. De la galerie des machines au pavillon de l’électricité en passant par l’incontournable Tour Eiffel, l’Europe se modernise et rivalise de force avec les compétitions intereuropéennes. En revanche, les pavillons des colonies semblent être figés. Le même paysage fantastique, entre danseuses du ventre, tentes nomades et spectacles des « fanatiques Aïssaouas », est monté et démonté en boucle par les Européens eux-mêmes. Les indigènes n’y sont que des acteurs mobiles. Seuls changent, en se redoublant, les quelques mètres carrés destinés à recevoir les nouvelles versions des pavillons, en l’occurrence, celui tunisien. Assurément, il y avait derrière cet aspect, à la fois figé et croissant des pavillons, une volonté de sensibiliser le public européen à l’élargissement de l’empire, du grand exploit enregistré dans les terres nouvelles et surtout l’inciter à s’y installer, en témoigne le bureau spécial d’émigration intégré au pavillon de la Tunisie de 1900 : « Pour initier le public aux ressources offertes par la Tunisie au travail comme au capital, des conférences-promenades sont organisées dans l’intérieur de la section ; un bureau spécial fournit les renseignements concernant la colonisation et l’émigration. Enfin, tous les progrès économiques réalisés dans la régence depuis l’occupation française sont retracés à l’aide de graphiques, de cartes murales, de plans en relief représentant les grands travaux d’intérêt national » (Weiland, 2010, p. 46). Dans un temps où la France éprouvait un urgent besoin de peupler les colonies par les Français, elle voyait dans le rituel de l’exposition, l’occasion d’arborer, même s’il est déformé, le Nouveau Monde dont rêvaient les obsédés de l’orientalisme, en plus de mettre au point une démonstration de forces que reflétaient les contrastes technologiques et les scènes de vies quotidiennes
exposées dans les pavillons (fig. 7, 8). Comme pour dire, le changement vient de l’Europe et des gens de l’Europe, sans eux, l’indigène est condamné à l’immuable et à l’archaïque.
Dans son ouvrage « Hybrid modernities », Patricia Morton attire notre attention sur ces comparaisons inéquitables que l’on croise, entre autres, dans les choix organisationnels adoptés pour l’exposition coloniale de 1900 ; « By comparison with other fairs, which usually occupied the center of the city, the Colonial Exposition was isolated from Paris’ urban and political life. In 1900, for example, the Moroccan pavilions sat under the Eiffel tower in a startlingly direct contrast between Orient and Occident. Even a relatively self-contained exposition such as the 1922 Marseilles Colonial Exposition fronted directly on the Rond-point at its main entrance. » (Morton, 2000, p. 145).
Ces expositions, destinées à être éphémères mais devenues permanentes par leur continuel retour dans l’espace-temps, sont des mises en scènes où le rituel de la territorialisation est constamment célébré. Les pavillons sont des faux-territoires, des utopies qui renvoient aux terres promises. La nécessité de les solenniser revient à « donner aux Français conscience de leur empire. C’est-àdire, faire passer ailleurs et plus loin les frontières imaginaires du territoire » (Béguin, 1983, p. 20). Dans le permanent retour cyclique de l’univers magique de Grandville, le pèlerinage de W. Benjamin devient un voyage rythmique où sont projetées les lignes lointaines du paysage français. « Le territoire est en fait un acte, qui affecte les milieux et les rythmes, qui les territorialise. Le territoire est le produit d’une territorialisation des milieux et des rythmes. […] Il est construit avec des aspects ou des portions de milieux. […] Il est essentiellement marqué, par des « indices », et ces indices sont empruntés à des composantes de tous les milieux : des matériaux, des produits organiques, des états de membrane ou de peau, des sources d’énergie, des condensés perception-action. […] Il y a territoire dès qu’il y a expressivité du rythme. » (Deleuze & Guattari, 1980, p. 386-387). Le style orientaliste, quand-il a dépassé la mode/signature, a incarné l’expression du rapport au territoire, s’est transformé en une extériorisation des impulsions intérieures sous forme d’un rythme spatio-temporel suggéré par les utopies territoriales ; les pavillons figés. Dans les motifs/indices se niche l’intériorité même du discours ambivalent du colonisateur. L’ambivalence, de son coté, est décelable dans l’aspect métis, hétéroclite, Kitsch… bref, hybride du style orientaliste, et devient ainsi, selon la conception heideggérienne de la technique, le voile de la domination.
Fétichisme, hybridisme et ambivalence forment la terminologie naissante que s’approprient les postcolonial studies. Loin de se superposer, fétichisme et hybridisme travaillent l’ambivalence. Cette dernière est une notion empruntée à la psychanalyse (9) et approfondie par Homi K. Bhabha dans « Les lieux de la culture ». L’auteur y fait recours pour mettre en évidence le rôle des hybridités dans la genèse d’un sentiment ambivalent auprès des deux partis ; le colonisateur et les colonisés. Nous l’avons mentionné, la langue qui emprunte les motifs d’une autre pour, ensuite, composer sa propre syntaxe, n’as de claire que l’esthétisme ambigu. L’orientalisme architectural s’apparente aux couleurs locales sans pour autant les épouser. Il aime accoupler les races sous l’espoir d’en produire une nouvelle, plus belle, mais hybride. Généticien des formes, son laboratoire devient ces expositions universelles, où finalement, son œuvre est prête à accoucher d’un pavillon hybride. Le pavillon de la Tunisie de l’exposition de 1878 en est un bon exemple. À l’époque où la « hiérarchie des races » et les théories naturalistes étaient amplement diffusées dans la presse, les ouvrages scientifiques et les manuels scolaires, le pavillon de la Tunisie venait associer, sur sa façade, un vocabulaire hybride où l’on retrouve un amalgame géographique immense. Son architecte Jacque Drevet (1832-1900) qui construisit, pour la même exposition, les pavillons de la Perse, du Siam, de l’Annam et du Maroc (Weiland, 2010, p. 42), semble avoir confondu la stylistique du Caire avec celle tunisienne (fig. 9). Comme son précédent de 1867, le pavillon a fini par décrocher quelques-unes des récompenses (au nombre de 18) offertes par le comité d’organisation. L’ouvrage du ministre réformateur Kheireddine Bacha, le collège Sadiki, était pris pour la « meilleure illustration des idées du lumière exportées en Orient ». La Tunisie y était présentée comme la terre fertile enrichie par l’esprit ouvert de ses dirigeants, un territoire où s’estompent, depuis l’Antiquité, les différences culturelles pour le bien des échanges économiques. Dans l’ouverture sur l’autre, né le risque de l’hybridité de soi. Tout est fonction du degré d’assimilation de la nouvelle langue. Le sentiment ambivalent du colonisé se construit au contact d’un texte écrit par les lettres de sa propre langue, mais dont il éprouve l’incapacité de lire entre ses lignes. La nature métaphorique de l’œuvre orientaliste dépasse la visibilité immédiate et s’offre comme un perspectivisme baroque où la nécessité de trouver le bon point de vue s’avère une exigence contre la difformité de l’image. N’est-elle pas la besogne derrière le passage d’un « style du vainqueur » à un « style du protecteur » pour, enfin, s’instituer dans un « style d’État » que développe François Béguin dans « Arabisances » ? L’auteur avait souligné, quant à la nature de l’intervention française en Afrique du Nord, sa transition du régime colonial au régime protecteur entre les expériences algérienne et tunisienne. Nous retrouvons un développement de la même idée chez Daniel Rivet :
« […] Selon Mgr Lavigerie, cardinal d’Alger, la formule permettait de « faire l’économie d’une guerre de Religion » en conservant une façade d’autorité indigène masquant le chrétien : le protectorat comme trompe-l’œil pour faire l’économie d’une guerre de conquête comme en Algérie. Selon Jules Ferry, c’est une recette pour « surveiller de haut […] gouverner de haut […], ne pas assumer malgré nous la responsabilité de tous les détails de l’administration, de tous les petits faits, de tous les petits froissements que peut amener le contact de deux civilisations différentes ». Le protectorat comme anesthésiant pour calmer la douleur d’un peuple vaincu. Pour tous les partisans de cette formule, il est également un expédient pour éviter le fléau du fonctionnarisme en conservant l’outil étatique préexistant. Gouverner au moindre prix et ne plus entendre parler de la Tunisie, à la différence de l’Algérie synonyme d’insurrection indigène et de fronde coloniale […]. Le protectorat est enfin un verrou opposé aux préhensions des « algéristes » qui poussent à l’annexion de la Tunisie après 1883, comme ils le feront au Maroc après la victoire de 1918, lorsque la France aura les mains libres pour faire de l’Afrique du Nord une succursale de la métropole. » (Rivet, 2003, p. 212, 213)
Dans les pavillons, et à maintes échelles de lectures, les opposés se rejoignent sur l’arête d’un plissement ambigu. L’éphémère/permanent, l’hétérogène/homogène, le proche/lointain, etc., se rencontrent et glissent, avec douceur, dans l’objet hybride, qui à son tour, accentue les ambivalences. L’orientalisme architectural, par ses objets hybrides, devient l’espace de l’entredeux, le porteur d’un message métis dont le décryptage demeure l’apanage de son créateur. « L’hybridité intervient dans l’exercice de l’autorité non pas simplement pour indiquer l’impossibilité de son identité, mais pour représenter l’imprévisibilité de sa présence. Le livre retient sa présence, mais ce n’est plus la représentation d’une essence ; c’est désormais une présence partielle, un dispositif (stratégique) dans un engagement colonial spécifique, un accessoire de l’autorité. » (Bhabha, 2007, p. 188)
Les pavillons des colonies sont assimilables à une vitrine où sont étalées les richesses d’outremer. Sont aussi l’occasion où le rêve magique est exposé au risque d’un éventuel détachement de ses féeries. L’art de l’étalage est ici soigneusement réfléchi pour sensibiliser le visiteur à un investissement de bon augure. À voir la diverse marchandise offerte par ces pavillons, laisse penser à Fortuna, déesse de la fertilité devenue de la globalisation par excellence avec Peter Sloterdijk. Une métaphysique de la chance se voit constamment dévoilée aux yeux d’un pèlerin ambitieux. Dans une distinction entre les passages couverts, décrits par W. Benjamin, et le phénomène « palais de cristal », P. Sloterdijk met l’accent sur les changements catégoriques engendrés par la genèse de ces lieux d’exposition. Contrairement à la thèse de Benjamin où les passages couverts sont assimilés à « des intermèdes couverts entre des rues ou des places », le palais de cristal invoque l’idée d’un habitacle suffisamment vaste pour englober un monde miniature. Si Benjamin voulait, par sa description des passages, sensibiliser à un univers de travail, plutôt désagréable et sinistre, dissimulé derrière les surfaces brillantes des vitrines de luxe, Sloterdijk voyait dans la sphère transparente du palais du cristal une boule magique où le visiteur y devenait le maître virtuel du monde. La lecture marxiste de Benjamin perd sa valeur face au surpuissant pouvoir de Fortuna, « la déesse des esclaves et de la plèbe sans travail, qui dépendaient totalement des dons de hasard et des humeurs magnanimes des riches » (Sloterdijk, 2006, p. 76)
En 1900 le docteur Adrien Loir, directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, était nommé commissaire de l’exposition tunisienne, alors qu’Henri Saladin, pour la seconde fois, étaitl’architecte en chef chargé de la conception du pavillon de la section tunisienne. Cette fois-ci, il s’était contenté de reproduire, intégralement, des monuments phares de l’architecture tunisienne : la mosquée marabout de Sidi Mehrez avec sa fameuse cascade de coupoles de style ottoman, deux autres mosquées du Kef et de Kairouan, maisons et café de Sidi Bou Saïd, etc. Le souci d’authenticité apparait nettement, du général au détaillé, puisque Saladin, fidèle à son intérêt pour les arts islamiques, s’est servi du savoir-faire des artisans de l’atelier du musée du Bardo (fig. 10, 11, 12). Zeynep Çelik nous rapporte deux témoignages à ce sujet : « The resident general of the colony, René Millet, joked that this replica_this “jewel”_lacked only the cow that had turned it into a stable back in Tunis. Once again underscoring the building’s authenticity, a French journalist sympathized, tongue-in-cheek, with the native who did not understand why he was not allowed to pray in this “mosque” » (Çelik, 1992, p. 133).
Nonobstant, ce qui nous absorbe le plus dans le cas de ce pavillon, en accord avec la notion de marchandises, sont les souks de l’artisanat tunisien (fig. 13, 14, 15). Alors que les arts traditionnels étaient en voie de disparition en Tunisie, « […] the most complete crafts fair was provided by the Tunisian section of the 1900 exposition in Paris. The thirty-seven crafts « typical of Tunisia, » including jewelry making, weaving, embroidering, basket weaving, shoemaking, and woodworking, were « chosen in order to give the total picture of the local indigenous industry. »
The protectorate administration was particularly proud of this section because it considered itself a savior of the « indigenous artistic industries » faced with the threat of modernization. The Tunisian display was also seen as a reaction against the simpleminded entertainments in other Islamic displays: « [It] does not attract visitors by its tumultuous belly dances. It presents itself in its everyday clothes, in its honest work clothes » (Çelik, 1992, p. 22). En revanche, nous nous posons la question sur l’intérêt d’une telle devanture, inventaire, où rares sont les indigènes qui ont pu y accéder en tant que visiteurs ! Hormis l’effort de certains passionnés comme H. Saladin, les politiques du protecteur semblent être timides dans la lutte contre l’anéantissement du produit artisanal. Ce dernier est honoré dans les expositions, pourtant, dès qu’il est sujet d’industrialisation par les investisseurs français, sa valeur identitaire n’est point prise en amant.
Enfin, durant toute la période coloniale, le pavillon de la Tunisie continuera à être représenté de la même manière ; un composé hybride formant une ville miniature où se croisent, malgré eux, toutes les ambivalences qui structurent la relation colonisateur/colonisé. Certes, depuis la première intervention tunisienne de 1855, il y a eu une évolution remarquable du regard projeté sur l’orientalisme architectural, ses usages, et la façon dont il est véhiculé, en témoignent les pavillons de 1925 (Paris), 1931 (Paris), 1937 (Paris) et 1958 (Bruxelles) conçus par l’architecte Victor Valensi (10) (1883-1977). Cependant, le pavillon tunisien avait besoin de son indépendance pour voir disparaître des labels genre « Tunisia, land of the bedouins » (exposition universelle de Chicago-1933). Contrecarré par l’émergence du mouvement Art Déco (1925) en premier, puis par l’internationalisation du mouvement moderne à l’aube des années cinquante, l’orientalisme architectural n’absorbe plus autant d’intérêts, mieux encore, il est, après la seconde guerre mondiale, sujet d’une rationalisation objectiviste que l’on voit remise en question dans la période postcoloniale.
3- L’orientalisme architectural à l’épreuve de l’Etat indépendant : l’authenticité en question
Nous allons faire ici un bond de quelques décennies pour franchir la période postcoloniale et s’arrêter au niveau d’un pavillon représentatif de la Tunisie indépendante, celui de l’exposition universelle de 1967 sise à Montréal. Œuvre composite des architectes Jacques Marmey (11) (1906- 1988), Taïeb Haddad (12), et Miljevitch de Tunis en association avec André Blouin de Montréal, ce pavillon provisoire se voulait le reflet du visage moderne de la république bourguibienne. La « Terre des Hommes », thème de l’exposition qu’illustrait la fresque réalisée par l’artiste tunisien Zoubeir Turki, est représentée de l’extérieur, par un volume simple, blanc, orné au niveau de sa base par une bande de céramique typique de Nabeul et reposant sur un bassin d’eau que l’on surplombe moyennant une passerelle liée au seuil de l’entrée. Celle-ci, monumentale, elle est matérialisée par un portail en cèdre massif sculpté. Les façades aveugles, hormis celle à droite de l’entrée où l’on croise une baie vitrée en bois s’ouvrant sur le fleuve St-Laurent, sont toutes tournées vers un intérieur simpliste, éclairé par un patio central. Une série d’arcades, détachée du plafond, retrace les limites de la cour. Au sol de celle-ci, nous trouvons l’élément principal de l’exposition, à savoir, une réplique de la mosaïque d’Orphée, datant du deuxième siècle et découverte dans une habitation romaine à la Chebba (Mahdia). Associant typologie traditionnelle et matériaux modernes (acier (structure), verre (couverture du patio), béton préfabriqué (murs et dalles), marbre (plancher), stuc (voutes et chapiteaux)), le pavillon résume la philosophie des architectes de la reconstruction dont Marmey faisait partie. Simplicité moderniste et pureté traditionaliste, le mariage est rationnellement réfléchi au profit d’un détachement du précédent orientaliste. Contrairement à son voisin, le pavillon du Maroc où l’architecture islamique demeure représentée par le symbole minaret, le pavillon de la Tunisie se voit débarrassé de toute référence iconique renvoyant à une fonction autre que celle du pavillon. D’ailleurs, force est de noter qu’à l’intérieur, l’ornement est quasi absent et se limite à des panneaux en fer forgé traditionnel servant de séparations douces entre les aires de l’exposition. L’ensemble adhère aux dogmes du mouvement moderne où l’ornement est suggéré par la simplicité des volumes ainsi que leur blancheur (fig. 16, 17, 18).
Comparé à ses précédents, le programme de ce pavillon semble reprendre les mêmes composantes ; un souk artisanal, un café, un restaurant auxquels s’ajoutent les aires d’expositions et les services annexes. La seule et importante différence, résidait dans les perspectives prometteuses que traçaient les stratégies d’un Etat indépendant quant-à l’influence d’une
revivification du produit artisanal. Selon ses propos, le premier chef d’Etat, avait entrepris sa marche éperdue vers l’industrialisation et le rayonnement du pays ; « Lorsque je réfléchis à ce que sera l’avenir, il me semble qu’il sera dominé par le commerce et par l’industrie. J’entends par commerce les contacts de l’esprit, aussi bien que l’échange des biens et de services. J’entends par industrie l’activité désintéressée des chercheurs, comme la production croissante et compétitive de richesses » (13).
Vers la fin des années soixante, la Tunisie s’est engagée dans un projet d’ouverture internationale mettant en amant le tourisme comme l’un des secteurs principaux de son économie. Assurément, climat, arts traditionnels et patrimoine architectural et archéologique, en l’occurrence, les médinas, sont les plus sollicités pour former le soubassement du tourisme tunisien. De cette orientation est née une nostalgie aux formes arabisantes vernaculaires. Au seuil des années 1970, et en particulier tout au long des années 1980, nous voyons surgir auprès d’une élite intellectuelle absorbée par le débat sur l’authenticité, la quête effrénée d’une « tunisianité », désormais, en recognition. Un examen attentif des pavillons qui succèderont celui de 1967, témoigne d’une volonté incessante d’ « orientaliser » le visage d’une Tunisie inquiète et ambivalente. Nous retrouvons, ainsi, l’aspect figé d’un programme artisanal reproduisant en boucle les mêmes scènes folkloriques. La modernité semble s’arrêter au niveau d’une façade que l’on traite soigneusement au détriment d’une fadeur intérieure critique. A ce titre, le cas du pavillon de l’exposition de Hanovre 2000 de son architecte Mustapha Ben Jannet, en est un exemple parlant. Dés que nous franchissons l’élégante façade reprenant la métaphore d’une femme voilée, nous nous retrouvons face aux composantes accoutumées d’un paysage exotique que le tourisme ne cesse d’en faire sa carte de visite auprès de l’occident. Les formes architecturales typiques qui, à fortiori, ont disparus de nos villas modernes, deviennent sujettes d’une survie prise sous les ailes de l’étalage. Plaquées à tort et à travers pour nous rappeler une identité hybride, elles ne sont plus que le symbole de leur propre mort.
Par référence à la constatation d’Ahmed Zaouch, quant aux nombreuses analyses et études dédiées à l’arabisance et menées au sein des écoles d’architecture, celles-ci semblent avoir conduit une génération d’architectes vers un nouvel historicisme favorisant une pâle copie des formes du passé (Zaouche, 2011, 41). Si l’auteur renvoie les causes de cette attitude folklorisante des productions architecturales contemporaines à « une étude trop approfondie et quasiment mythifiée de l’œuvre originelle, à savoir l’architecture des XVIIe et XIXe siècles », nous voyons, d’une part, dans la mauvaise assimilation d’un concept ambigu ; l’authenticité (14), et d’autre part, dans la résolution inadéquate de l’équation Modernité/tradition, les germes d’un néoorientalisme local. Des professionnels du métier peu formés à ce sujet, à l’incessante commande publique qui fait de ce style la solution privilégiée pour un retour aux sources, en passant par les choix politico-économiques d’un tourisme de masse, les acteurs mêlés dans cette affaire sont si nombreux pour rendre draconienne l’éradication définitive des racines de ce que Kenneth Frampton a nommé « le régionalisme critique » (15). Dans une herméneutique de l’expérience personnelle, il nous semble que la solution réside dans les orientations académiques qui doivent prendre sérieusement en charge la définition du patrimoine local islamique par différenciation de son voisin formel légué par la colonisation française. L’authenticité de cet héritage n’est point concevable en dehors de sa « contextualisation ». Parce que dans les formes de cet orientalisme architectural s’est écrite une page de notre histoire, il est d’emblée une leçon qui nous renseigne sur une certaine perception des arts indigènes. Néanmoins, pour que ce style-langue puisse être lu et saisi convenablement, sa documentation s’avère une condition sine qua non de sa valorisation. Les postcolonial studies composent la contre-histoire de l’orientalisme qu’il est impératif d’associer à l’enseignement de l’histoire de l’architecture au Maghreb.
En guise de conclusion, nous constatons que les pavillons des expositions universelles ont plus à dire sur les stratégies politiques de domination que sur les pays, les peuples et les civilisations qu’ils prétendent représenter. En 1867, le palais du bey par sa dissociation de l’exposition ottomane, se voulait l’affirmation de l’autonomie politique de la régence de Tunis par rapport à l’Empire turc. De 1889 à la veille de l’indépendance tunisienne, les pavillons des colonies étaient le reflet de la suprématie européenne et un idéal soutènement pour le projet colonial. De 1967 à la fin des années soixante-dix, le pavillon tunisien incarnait la marche, à pas de géant, du projet modernisateur de Habib Bourguiba. Quand le si long règne de celui-ci était entré, à l’aube des années quatre-vingt, dans les controverses d’une présidence à l’agonie, la Tunisie des expositions universelles s’est dramatiquement plongée dans la superficialité d’une consommation atroce et irréfléchie de son patrimoine. Cette attitude s’est poursuivie tout au long des années sombres de la présidence de Ben Ali à qui revient la sélection de plusieurs édifices représentatifs d’une quête inconsciente de l’identité tunisienne. L’hôtel de ville de Tunis et pire encore, l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme sise à Sidi Bou Saïd et supposée être une leçon d’architecture pour ses usagers, sont l’échantillon d’une panoplie d’édifices où l’orientalisme est produits par et pour les orientalistes locaux. Cette gouvernance semble peu soucieuse et consciente, et des réalités du visage tunisien d’aujourd’hui, et de sa représentation auprès de l’autre, qu’elle n’a même pas songé à faire du tout dernier pavillon de l’exposition de Shanghai 2010 l’objet d’un concours d’architecture. Qualifié par plusieurs critiques du « pavillon le plus austère dans l’histoire de la présence tunisienne dans les expositions universelles », ce pavillon ne faisait qu’adhérer à la règle du jeu. Il jouait convenablement son rôle de miroir d’une décadence gouvernementale et d’une mort prochaine du pouvoir en place.
Références
(1) Béguin, François, Arabisances, Paris, Dunod, 1983 : Recherche remise au secrétariat du comité de la recherche et du développent en architecture (CORDA), et dirigée par François Béguin avec la collaboration de Gildas Baudez, Denis Lesage et Lucien Gaudin. Ce texte reprend le fruit d’une étude réalisée en 1977 grâce au concours du CORDA.
(2) D. Clevenot consacre un sous-titre de son introduction ; « Le champ d’étude » pour une mise au point sur la notion d’art arabo-islamique. Pareillement, O. Grabar dans le premier et le second chapitres de « La formation de l’art islamique », à savoir, « I- Poser le problème » et « II- Le premier territoire de l’Islam » rend compte des confusions et des difficultés méthodologiques couramment rencontrées dans la fabrique de l’histoire des arts de l’Islam.
(3) Gonzalez, Valérie, « Dominique CLEVENOT, 1994, Une esthétique du voile : essai sur l’art arabo-islamique, Éditions L’Harmattan, in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, Volume 72, Numéro 1, Année 1994, p. 129 – 134
(4) Par référence au concept du Rhizome développé par Gilles Deleuze.
(5) Les définitions de 1826, 1840 et 1846 sont données par le dictionnaire étymologique en ligne du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)
(6) Decléty, Lorraine, « Pratique et connaissance : les chemins divergents de l’orientalisme scientifique et de l’orientalisme artistique en France et en Allemagne » in L’orientalisme architectural entre imaginaires et savoirs, Picard & CNRS, Paris, 2009
(7) « L’opposition entre Orient et Occident, telle que l’ont diffusée les représentations occidentales repose sur des couples antinomiques ; les Orientaux seraient caractérisés par l’immobilisme, la passivité, l’oisiveté alors que l’Occident incarne le progrès et le travail, déploie une activité qui transforme le monde ; se rattache à cette opposition l’idée que l’avenir appartient à l’Occident, le passé à l’Orient, décadent, si ce n’est mort. » (Jarrassé, 2006, p. 77)
(8) Avant cette date, en 1851 puis en 1855, la Tunisie a fait ses premières participations dans les expositions qui prirent place respectivement à Londres et à Paris. La participation se réduisait à un tableau orientaliste qu’illustraient les quelques centaines de mètres carrés alloués au stand tunisien, alors introduit comme partie de la représentation de l’Empire turc. Quand ce dernier a commencé à s’affaiblir par la montée de l’occident, le bey de Tunis a profité de la situation pour affirmer son autonomie politique. En se présentant comme pavillon principal, le pavillon de 1867 représentait le nouveau statut politique de la régence.
(9) Ambivalence : « disposition psychique d’un sujet qui éprouve ou manifeste simultanément deux sentiments, deux attitudes opposées à l’endroit d’un même objet, d’une même situation ». Notion introduite par E. Bleuler en 1910 à
la suite de ses travaux sur la schizophrénie avant d’être reprise par S. Freud pour y baser les conflits intrapsychiques, voire l’aspect fondamentalement dualiste de la dynamique des pulsions. (D’après le dictionnaire de la psychanalyse de Roland Chemama-1993)
(10) Victor Valensi : architecte D.P.L.G, auteur du premier plan d’aménagement de la ville de Tunis en 1920 et de nombreuses commandes résidentielles privées. Valensi avait une appréciation et une maitrise particulières du vocabulaire local. Son plan d’aménagement de 1920 n’a pas eu de suite puisqu’il fut taxé de « trop Beaux-arts », néanmoins, en découle les premières sensibilisations à la valeur patrimoniale de la médina de Tunis et les risques de sa dégradation.
(11) Jacques Marmey : l’un des 14 architectes du groupe de la reconstruction (1943-1947) dirigé par l’architecte en chef du gouvernement tunisien et directeur des services ; Bernard H. Zehrfuss. Pour d’amples informations sur l’œuvre de J. Marmey en Tunisie, voir : Institut Français d’Architecture, Archives d’architecture du XXe siècle, Liège, Mardaga, 1991, p.225-266 – et – Breitman, Marc, Rationalisme, tradition : Jacques Marmey, Tunisie ; 1943- 1949, Liège, Mardaga, 1986
(12) Taïeb Haddad : « Architecte D.E.S.A pour le siège commercial à Kairouan en 1965 »
(13) Habib Bourguiba, Citation reprise d’un panneau exposé sur les murs intérieurs du pavillon et visible sur une vidéo
documentaire de l’exposition 1967 (Archives de la ville de Montréal).
(14) Il est de l’ordre de l’absurdité de se dire avoir donné une définition complète et définitive à l’authenticité. La notion est tellement ambigüe pour être qualifiée par Françoise Choay, lors de son intervention dans la conférence de Nara (Japan), d’un non-concept. Cette conférence de 1994 dédiée à l’authenticité dans le cadre de la convention du patrimoine mondial en est un justificatif de la plurivocité de cette notion.
(15) Dans son article, « Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance » (1983), l’historien et critique de l’architecture Kenneth Frampton reprend la question cardinale du régionalisme critique ; comment pouvons-nous être modernes tout en retournant aux sources ? L’auteur insiste sur les composantes du topos (site : topographie, climat, lumière), du typos et de la tectonique dans la genèse de ce qu’il appelle « la poétique de la construction » au détriment de la scénographie. Comme il attire l’attention sur la part tactile de l’édifice qui doit l’emporter sur son côté visuel.
Bibliographie :
- Archives de la Ville de Montréal, Pavillon de la Tunisie à l’Exposition universelle de 1967, cartable Expo, bobine 58, projet 468
- Bacha, Myriam, « Le palais du Bardo », in Les expositions universelles à Paris de 1855 à 1937, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2005
- Béguin, François, Arabisances, Paris, Dunod, 1983
- Benjamin, Walter, « Paris Capitale du XIXe siècle » in Œuvres III, Saint-Amand, Gallimard, 1935, 2000
- Bhabha, Homi K., Les lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Payot, Lonrai, 1994, 2007
- Chateaubriand, François-René, Itinéraire de Paris à Jérusalem- Tome II, Paris, Librairie de Frimin Didot frère, fils et Cie, 1859
- Çelik, Zeynep, Displaying the Orient : Architecture of Islam at the nineteenth-century world’s fairs, Los Angeles, University of California Press, 1992
- Chemama, Roland, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1993
- Clevenot, Dominique, Une esthétique du voile : Essais sur l’art arabo-islamique, Paris L’Harmattan, 2004
- Croutier, Alev Lytle, Harems : le monde derrière le voile, Japon, Belfond, 1989.
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L’auteur :
Titulaire d’un diplôme d’architecte (2005) obtenu de l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme (ENAU) de Sidi Bou Saïd (Tunisie) ainsi qu’un master d’architecture (2007) obtenu de la même institution, MEDDEB Nader est, depuis l’automne 2008, candidat au Ph.D en aménagement à l’Université de Montréal. Ces travaux se concentrent sur les passerelles sensibles tissées entre l’architecture et le vêtement, pris comme deux sphères productrices d’espace et génératrices d’une
symbolique signifiante dans la compréhension des interactions de l’Homme avec son environnement. Insérée dans la même thématique, sa thèse en cours, se concentre sur le contexte tunisois, notamment, le parallèle voile/médina (1920-1980).