Par:
Ons KALAI Architecte urbaniste,
Chef de service à la direction d’assistance aux collectivités locales, Agence d’urbanisme du Grand Tunis
Depuis plusieurs décennies, nos villes subissent les répercussions du dérèglement climatique et des bouleversements technologiques. En effet, le changement climatique et ce qu’il entraine comme catastrophes naturelles, a contraint les territoires à la sécheresse, aux inondations, aux incendies ravageurs et à la pollution ce qui rend nos villes de plus en plus vulnérables.
Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) tire la sonnette d’alarme dans son rapport (1) paru en août 2021, indiquant que l’état d’urgence est inéluctable. Le rapport met l’accent sur le risque accru des changements climatiques en région méditerranéenne qu’il définit comme « zone sensible ».
Compte tenu du contexte actuel marqué par les risques émergents et l’instabilité accrue, il est impératif de penser aux solutions adéquates et anticiper les répercussions. Ainsi, nos villes devraient être capables de résister à toute situation et, le cas échéant, de se reconstruire.
Afin d’atteindre cet objectif, il est indispensable de se doter rapidement de nouveaux outils et de définir de nouvelles approches pour mieux protéger les ressources humaines, économiques et naturelles.
Les villes étant le berceau des décisions et de la création de solutions d’adaptation, il est important de repenser le contexte urbain en observant le rôle du cadre bâti sur leur durabilité.
En effet, les choix qui seront faits en matière d’infrastructures urbaines dans les décennies à venir auront une incidence décisive. Qu’il s’agisse d’urbanisme, de rendement énergétique, de production d’énergie ou de transports, les solutions devraient répondre aux exigences actuelles dudit changement climatique.
« C’est bien dans les villes que se décidera l’issue de la bataille du climat », a rappelé António Guterres (2), le Secrétaire général de l’ONU.
A cet égard, les approches participatives, souvent encouragées dans la gestion de l’espace urbain, deviennent de plus en plus adoptées dans la réflexion et l’élaboration des réponses face au phénomène du changement climatique. La concertation d’un grand éventail d’acteurs représente l’un des défis fondamentaux pour la gouvernance participative en général, notamment pour la politique.
Ainsi pour une meilleure compréhension de l’évolution de l’espace urbain et la gestion des crises auxquelles il fait face, l’implication des différents acteurs à la prise de décisions est essentielle.
De ce fait, il est essentiel de repenser la position des villes quant au double enjeu : durabilité – adaptation. Telle que formulée dans les accords internationaux, à savoir la charte d’Alborg (3), la problématique du développement urbain durable, a pointé le rôle important des villes et leurs engagements. Elles sont désormais considérées comme étant les principales victimes du changement climatique, et devraient être envisagées selon leur vulnérabilité spécifique aux risques.
Il serait judicieux d’améliorer la résilience locale, grâce à des activités de sensibilisation, au partage des connaissances et des expériences, à la constitution de réseaux synergiques d’apprentissage ville-à-ville, à l’apport d’expertise technique, à la mise en relation de plusieurs niveaux de gouvernance, et à la création de partenariats….
Ni un prestataire de services publics ni un intervenant seul ne peuvent assumer ce risque. Il faut impliquer les organismes locaux de planification ayant une représentation multisectorielle et multipartite. Les villes aussi doivent prévoir non seulement de réduire les risques, mais également d’investir dans le renforcement de la résilience. Cette approche permettra aux systèmes, aux services et aux personnes de faire face à la crise, de s’adapter aux chocs et aux tensions, et de rebondir selon« Making Cities Resilient 2030 » ou MCR 2030 (4).
Qu’est-ce donc la « résilience urbaine » et à quoi sert-elle ?
Selon ONU Habitat « La résilience est la capacité de tout système urbain et de ses habitants à affronter les crises et leurs conséquences, tout en s’adaptant positivement et en se transformant pour devenir pérenne. Ainsi, une ville résiliente évalue, planifie et prend des mesures pour se préparer et réagir à tous les aléas – qu’ils soient soudains ou à évolution lente, prévus ou non. Les villes résilientes sont donc mieux à même de protéger et d’améliorer la vie des gens, de sécuriser leurs acquis, de promouvoir un environnement favorable aux investissements et de favoriser les changements positifs. » (5)
Le concept de résilience est un concept très présent dans le développement international, et ce suite au contexte actuel et l’augmentation des risques ainsi que l’accroissement de la population urbaine. Les groupes vulnérables n’ont pas les ressources nécessaires pour faire face à ces crises. C’est dans cette optique que les programmes mondiaux œuvrent pour permettre l’accessibilité pour tous, aux villes durables et résilientes.
De plus, la résilience est un concept clé de l’aide humanitaire, parce qu’il œuvre à améliorer les conditions de vie de la population. Si la résilience d’une ville s’améliore, sa capacité à faire face aux risques se développe, ce qui diminuerait sa fragilité grâce à la mise en place d’interventions efficaces et prévoyantes.
« Les villes ne sont pas égales face aux catastrophes, aux imprévus et aux changements, seules celles avec cette capacité de résilience, pourront résister et sauront se positionner dans une ère où concurrence et compétitivité s’imposent au quotidien »
La résilience serait donc la réponse la plus adéquate pour la réduction de risques de catastrophe, et devra faire partie intégrante de l’aménagement urbain, de la planification urbaine et de stratégies destinées à réaliser le développement durable.
Dix points essentiels pour rendre les villes résilientes
Dans le cadre d’une campagne qui vise à encourager les gouvernements locaux et nationaux à s’engager à faire de la réduction de risques et de la résilience face aux catastrophes et au changement climatique, le Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophes (UNISDR) et ses organisations partenaires ont lancé la campagne mondiale « Pour des villes résilientes – Ma ville se prépare ! » (6) afin de mobiliser les décideurs locaux et les dirigeants des villes.
Cette campagne vise à accroitre le réseau mondial grandissant de cités, de provinces et de municipalités engagées, très différentes par la taille, les caractéristiques, les profils de risques et l’emplacement géographique.
Un objectif commun les rassemble, celui d’atteindre la résilience. Les « Dix points essentiels pour rendre les villes résilientes » constituent les principes fondamentaux de ces engagements. Ils serviront à instaurer des repères pour une meilleure résilience des villes face aux catastrophes et la mise en place de stratégies prévoyantes.
Les 10 points sont les suivants :
- La mise en place d’organisation et la coordination afin d’appréhender et réduire les risques de catastrophe, ainsi sur la base de la participation citoyenne et de la société civile, s’engager vers des alliances locales, impliquer les départements par des formations et les sensibiliser sur leurs rôles dans la prévention et la réduction des risques de catastrophes.
- L’attribution d’un budget pour la réduction de risques de catastrophe et l’affectation de subventions aux populations vulnérables.
- Le maintien de données à jours concernant les aléas et les vulnérabilités, élaboration d’études d’évaluation des risques et leur utilisation comme base dans la planification du développement urbain et de la prise de décisions. Assurer une accessibilité facile au grand public sur les indicateurs et les planifications en vue de la résilience de la ville.
- L’investissement dans les infrastructures essentielles afin de réduire les risques comme les réseaux d’évacuation des eaux pluviales contre les inondations et l’adaptabilité au dérèglement climatique
- L’évaluation de la sécurité des différents équipements (scolaire, sanitaire, administratif…) et leurs améliorations selon les besoins.
- L’application et le respect des réglementations en matière de construction et d’urbanisme et d’aménagement du territoire en tenant compte des risques.
- La mise en place de programmes d’éducation et de formations sur la réduction des risques de catastrophe dans les écoles et les communautés locales.
- La protection des écosystèmes et zones tampons naturelles pour diminuer les inondations, tempêtes et autres aléas… qui menacent la ville et augmentent sa vulnérabilité. L’adaptation aux changements climatiques par la mise en place de bonnes pratiques pour la réduction des risques.
- L’installation de structures de systèmes d’alerte rapide et une gestion des urgences dans la ville ainsi que l’organisation périodique d’exercices publics de simulation et de sensibilisation.
- En cas de catastrophe naturelle, assurer la disponibilité des différents besoins de la population touchée, l’appui moral et financier nécessaire et application des mesures de relèvement pour reprendre une vie normale.
In fine, pour atteindre l’objectif d’une ville résiliente, il faut engager d’importantes ressources ainsi que de tracer des stratégies nationales et locales qui permettront d’identifier les menaces et d’anticiper des actions efficaces et efficientes pour atténuer leurs impacts.
Certes, plusieurs paramètres, à savoir les défis économiques, la raréfaction des ressources, font que cet objectif est difficile à atteindre, mais pas inatteignable.
Le concept de la résilience est d’une importance capitale. Nous devrions lui donner la priorité et essayer de l’appliquer. Tout celà dans une optique de faire évoluer les politiques publiques et les pratiques urbaines pour protéger nos villes et par conséquent protéger l’être humain, principal acteur et victime du changement climatique.
(1) Le GIEC a finalisé le rapport d’évaluation le 6 août 2021 lors de la 14e session du groupe de travail I et de la 54e session du GIEC finalisé, Climate Change 2021: The Physical Science Basis , https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-i/
(2) António Guterres, le Secrétaire général de l’ONU. lors de la Journée mondiale des villes 31 octobre 2019 sous le thème : « Transformer le monde : innovations et vie meilleure pour les générations futures ».
https://news.un.org/fr/story/2019/10/1055091
(3) La charte d’Aalborg a été signée lors de la 1ère Conférence européenne des villes durables tenue en 1994 à Aalborg, au Danemark. Il s’agit d’une importante initiative pour le développement durable en Europe et d’un document de référence en matière de déclarations d’intention des collectivités vis-à-vis du développement durable. https://ise.unige.ch/isdd/IMG/pdf/Charte_Aalborg.pdf
(4) Making Cities Resilient 2030 » ou MCR 2030 est un partenariat mondial destiné à renforcer la résilience au niveau local. L’initiative MCR 2030 a pour but de garantir la résilience et la durabilité des villes d’ici 2030. https://mcr2030.undrr.org/sites/default/files/2021-04/MCR2030%20in%20French%20ver.2%20%2820210302%29.pdf
(5) UN habitat https://unhabitat.org/fr/node/3774
(6) Manuel à l’usage des dirigeants des gouvernements locaux, « Pour des villes résilientes – Ma ville se prépare ! https://www.unisdr.org/campaign/resilientcities/home/article/reflections-and-experience-sharing-from-cities.html