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Dispositifs spatiaux et hygiène dans l’architecture vernaculaire domestique de l’île de Djerba

by Ryma Ben Younes
Dispositifs architecturaux à Djerba

Introduction

Inévitablement liée à la spiritualité. « Dès ses origines, l’Architecture se fonde et se forme sur le concept de sacralité qui lui donne le sens…»[1]. L’Architecture est une mise en forme du sacré. Elle matérialise le transcendantalisme du divin au profane. C’est une production qui manifeste le lien qui permet cette communication haut/bas ou profane/sacré, selon le principe que toute conception humaine s’inspire de celle divine, s’y réfère et y retourne.

Partant de la définition de l’Architecture en tant que configuration du vécu, notre étude revêt un caractère anthropologique et culturel. L’initiation à l’architecte par un terrain anthropologique met en évidence le relativisme culturel des concepts d’aménagement de l’espace. Elle pousse à découvrir la relativité des causalités de toute solution technique et provoque des renvois au culturel. L’anthropologie de l’Architecture est interprétative des articulations entre les manières de faire, de dire et de penser. C’est ce qui informe sur la logique de l’espace, qui est aussi un lieu pratiqué, qui se transforme selon la société.

C’est dans ce contexte général de la relation entre l’espace, l’architecture et la spiritualité que s’inscrit notre recherche qui part d’une observation liant une spécificité architecturale à une spécificité religieuse. Nous démontrons cette hypothèse à travers l’exemple de l’architecture vernaculaire d’une île méditerranéenne qu’est l’île de Djerba en Tunisie. L’ensemble religion/culture est traité comme une seule unité que nous avons appelé « l’idéologie puritaine », retrouvée dans les sociétés ibadites et protestantes. L’impact observé de cette culture sera limité, dans cet article, au puritanisme dans son expression architecturale. Nous focalisons sur l’aspect hygiénique de cette architecture à forte identité qui, selon notre hypothèse, découle directement ou indirectement des principes de cette spiritualité très présente dans la vie quotidienne des habitants de l’île.

1- Le contexte culturel et idéologique:

VIIIème siècle. L’Ibadisme (Abadiyya الأباضية) est une doctrine qui compte parmi les écoles spirituelles musulmanes. L’Ibadisme wahhabite[1] est une doctrine connue par son extrême exigence morale. En effet, les Ibadites djerbiens sont célèbres par leur austérité qui se reflète dans leurs pratiques religieuses et dans leur vie tendant vers un ascétisme qui exclut le moindre luxe.  Ils attachent aussi à la pureté physique et morale de l’Homme une importance suprême. Ils veulent rejoindre, à travers leurs pratiques et principes, les premières années de l’Islam et retourner aux origines de leur religion mère. Sacraliser les actes du quotidien fait partie des principes de leur idéologie : « La spécificité de la doctrine ibadite consiste précisément à sacraliser les actes de la vie, conçus globalement comme une épreuve divine pour mettre l’Homme devant ses responsabilités à l’égard de Dieu… »[2]

Puisque nous traitons d’Architecture vernaculaire, il faut noter qu’avec le temps, les différences individuelles s’estompent, et l’image qui semblait sortie de l’imagination d’un seul devient la physionomie d’une époque, dans une région et un contexte donnés. La préoccupation esthétique est presque absente dans ce genre d’architecture. Mais, l’harmonie qui y règne, témoignant de l’osmose entre l’Homme, son environnement et sa culture, est unanimement remarquée. La forme est une concrétisation d’une fonction en architecture. Les facettes d’une forme architecturale ne sont que des niveaux limitant des espaces conçus pour remplir des fonctions précises.

Le djerbien est resté fidèle à des enseignements et des héritages qu’il a adapté à ceux de la spiritualité musulmane. Cela se traduit sur tous les niveaux y compris son architecture et son aménagement du territoire, où nous retrouvons des principes cohérents régissant toute expression et à toutes les échelles depuis le schéma organisationnel jusqu’aux équipements.

Parmi les principes de cette spiritualité observée, nous mettons l’accent sur celui de l’importance donnée à l’essentiel. Des convictions et des pratiques diverses en découlent dont essentiellement l’absence de tout intermédiaire entre Dieu et ses fidèles, puisque la foi est ‘intérieure’ et que Dieu est en chacun. Il s’ensuit que le djerbien donne une importance suprême à la pureté physique et morale et à la sobriété, la modestie et l’abandon de toute exagération.

2-L’échelle du paysage et du territoire: Le Menzel

Il n’y pas à Djerba de centre de population bien important ni de village proprement dit. Les habitations étant disséminées, le groupement en village tel qu’il existe aujourd’hui est plutôt administratif que réel. « Ici il n’y a ni ville ni compagne séparées. C’est l’interpénétration de ces deux types de peuplement : une sorte de banlieue diluée. »[1]. Généralement, l’habitat groupé s’explique par la rareté des points d’eau et l’habitat dispersé par leur abondance. Ce qui contraste avec la réalité djerbienne. L’éparpillement des terres cultivables, le morcellement foncier et l’attachement du djerbien à sa terre mais aussi aux liens du sang ont contribué à cet essaimage résidentiel. Cet aménagement du territoire social est ainsi une réponse à une problématique complexe.

En se promenant dans l’île on découvre encore, à travers la verdure des oliviers et des palmiers dispersés, « la blancheur de quelques ‘Menzel’ avec leur profusion de petites coupoles et de tours carrées surélevées, des mosquées et aussi des cimetières en grand nombre : Le surpeuplement de l’île est évident non seulement dans le présent mais aussi dans le passé. »[2].

Le Menzel est une notion typique de l’île qui se définit comme un mode d’implantation exprimant l’originalité de l’habitat traditionnel djerbien. Il représente une véritable cellule de la vie djerbienne, destinée à maintenir le déroulement d’un quotidien aux multiples activités. Il se dresse sous l’aspect d’un jardin clôturé et implanté, comportant une ou plusieurs maisons appartenant à une même famille et dont l’intimité et la pureté sont de l’ordre du ‘sacré’.


[1] S.E.Tlatli, L’île des Lotophages

[2] S.E.Tlatli, Djerba et les djerbiens


2-1-Les composantes du Menzel et son schéma organisationnel:

Les différentes composantes ainsi que l’organisation et la répartition des sous espaces dans le Menzel répondent à la dualité « intimité/pureté » et revêtent une double dimension fonctionnelle et symbolique. Tout ce qui est primordial à la survie de la famille doit y figurer avec un schéma assimilé depuis des siècles pour assurer la prospérité et la tranquillité de la famille. Son programme fonctionnel est très riche permettant une vie presque totalement autonome avec des activités quotidiennes et d’autres saisonnières. Le caractère introverti a été élu comme étant le gage de la protection à la fois de l’intimité et de la pureté physique et morale.  

Fig. 1. Exemple d’un Menzel à Djerba, BOUSSOFFARA Fawzi, thèse d’architecture, ITAAUT, 1984, p31.

Fig. 2. Les composantes d’un Menzel, Amira Ben Hassen, Mémoir d’architecture, ENAU,2019, p37.

Toutes les composantes du Menzel permettent la vie quotidienne de la famille en autosuffisance et dans le respect de son intimité. Ce qui évite toute introduction d’élément extérieur pouvant perturber sa pureté morale et physique.

La dimension puritaine est au centre de la logique organisationnelle du Menzel puisque le principe de base y est la séparation des circuits et des flux. Nous notons une séparation entre la vie intime de la famille au sein de l’habitation et ses activités économiques, ainsi qu’une séparation entre le flux des visiteurs et celui des membres de la famille, pourtant réunis sur une même parcelle. Les sous espaces considérés comme souillant et qui sont une icône du profane sont mis à l’écart de ceux considérés comme nobles et sacrés. 

2-1-1-Le « Houch » (habitation 1)

Le «houch» présente le noyau du Menzel, il est l’habitation proprement dite et donc le lieu intime et ‘sacré’ par excellence. Il est établi sur le modèle méditerranéen à patio et présente un aspect fortifié avec ses tours carrées ou « gorfa ».. Il existe plusieurs typologies de «houch» mais les petites différences soulignent ces traits communs :

– L’organisation centrée, autour d’un patio à ciel ouvert, de « cellules » correspondant, chacune, au logement des micro-familles groupées.

– L’importance de l’orientation de la construction pour optimiser l’ensoleillement et l’aération des sous espaces à fin de créer un lieu sain exempt de tout élément profane.

– L’intégration de dispositifs d’hygiène et la présence de plusieurs points d’eau (majel et/ou fesguia[1]) permettant une propreté physique dans l’habitation et l’éloignement de toute fonction salissante comme les latrines et la cuisine.

– Le respect d’un schéma organisationnel à forte symbolique qui se traduit jusqu’au choix des formes et des matériaux de construction locaux, modestes et répondant à la stricte  fonctionnalité.

2-1-2-Le ‘mekhzen eddiyaf’ (maison des invités 2):

Cette composante du Menzel se présente comme une annexe de l’habitation principale. Elle se décline aussi sous différentes typologies correspondant à celui du statut social et de l’activité économique du chef de  la famille concernée. Elle peut se limiter à une seule pièce comme elle peut intégrer d’autres fonctions comme des espaces de réunion, une salle de prière, un bassin d’ablution, des pièces de réception et des dortoirs. Plus les activités de la famille font appel à des visites d’hommes étrangers à la famille , plus la maison des invités est complexe.

La raison d’être de cette composante spatiale est le respect de l’intimité de la famille et essentiellement de ses femmes. La maison des invités est conçue de façon à ne pas interférer dans le circuit quotidien des activités des femmes. Elle est donc relativement éloignée du houch, avec un accès indépendant et toutes les commodités de la réception respectueuse d’invités. cet espace doit obligatoirement bénéficier d’un espace dédié aux ablutions avec au moins un point d’eau, d’une pièce de réception et de dokkana (banquettes).

Fig. 3. Makhzen eddhief, Houch Ben Younes à Wed Ezzébib, Croquis de l’auteur, 1998.

 2-1-3-Le ‘jnen’ (jardin3)


Il s’agit de l’exploitation agricole familiale permettant un auto-approvisionnement en fruits et légumes et exploitant ingénieusement l’eau rare et le sol pauvre de l’île. L’organisation de la plantation varie selon les régions et la surface des parcelles. Mais elle utilise unanimement un système d’irrigation ancestral exploitant l’énergie animale pour puiser l’eau des nappes phréatiques ou des bassins d’impluviums (jabbia) avec un système de puits et de tranchées de distribution (sarrots). Le jnen renferme souvent un lieu de stockage (makhzen) pour garder la récolte dans un lieu sain, ventilé et loin de l’habitation.

2-1-4-La ‘Driba’ ou ‘Achoucha’ (l’écurie 4) :

Les animaux domestiques bénéficient d’un espace qui leur est dédié. Il est souvent vouté pour une meilleure circulation de l’air et une évacuation des odeurs en hauteurs par des petites ouvertures dans les voûtes en berceau. La Driba est indépendante du houch mais peut parfois y être juxtaposée tout en gardant une entrée diamétralement opposée.

2-1-5- L’atelier (5)

Le majel a une forme circulaire et la fesguia une forme rectangulaire. Ils sont creusées sous les maisons ou dans le jardin. Le majel est plus profond, quatre à huit mètres de profondeur, contre trois à quatre mètres pour la fesguia. Elle récupère l’eau de pluie, soit par les surfaces des toits recouverts de chaux de l’habitation principale ; soit par de grandes étendues planes recouvertes également de chaux. Les utilisateurs récupèrent ensuite l’eau par un seau tiré de l’extérieur.

2-1-6 Le cimetière

Chaque famille dispose de son propre cimetière qui se trouve généralement en périphérie de la parcelle. Il s’agit d’une partie du territoire dédié aux ancêtres mais qui ne présente aucune construction ni même de clôture. 

2.2. L’eau dans le Menzel; rareté et symbolique

L’eau est une donnée incontournable dans la décortication de l’organisation spatiale du Menzel. Rappelons qu’elle n’est pas abondante sur l’île voir même, dans certaines régions, presque inexistante. L’eau est donc précieuse d’autant plus qu’elle est symbole de la purification, objectif suprême dans la quête de la spiritualité chez le djerbien. Plusieurs composantes du territoire familial s’y réfèrent pour en assurer une exploitation optimisée et réfléchie dans une approche durable.

    2.2.1. La « fesguia » ou impluvium:

Cette composante est la première construction entreprise avant toute installation et elle est souvent multiple. Son rôle est de récolter l’eau de pluie rare et de la stocker pour les usages de la famille et ses animaux. Cette construction fait appel à un savoir-faire méticuleux d’artisans professionnels puisque l’eau stockée est pluviale et stagnante. Ce qui crée la problématique d’une source pauvre en minéraux et porteuse de risque d’infection.

La fesguia est ainsi un équipement ancestral qui ne se limite pas à un simple réservoir d’eau mais qui représente un dispositif assez complexe exploitant les caractéristiques des matériaux disponibles pour protéger l’eau récoltée. La surface de la terrasse est proportionnelle à l’importance de la pluviométrie. Sa profondeur est relativement réduite pour permettre un maximum de brassage de l’eau et pour minimiser la stagnation. Des ouvertures sont entreprises sur la surface dont une sert à puiser l’eau et les autres à permettre une ventilation optimum. L’intérieur est badigeonné à la chaux, matériaux naturel sain et permettant la respiration d’un espace hermétique en sous sol.

L’exploitation de la fesguia se fait aussi selon des règles rigoureuses comme celle de l’alimenter en minéraux avec un dosage précis de chaux et de désinfectants naturels ainsi que la nécessité de la vider et de la nettoyer avec un nouveau badigeon en chaux tous les deux ans. 

Il existe aussi des fesguia en dehors des Menzel, dans les mosquées et les territoires partagés. Elles sont souvent construits par des bienfaiteurs pour permettre aux passagers de se laver ou de boire. Ces fesguia sont aussi un lieu de sociabilité et de rencontre pour les femmes des Menzel environnants. La fesguia reste un équipement essentiel puisqu’il symbolise le premier besoin à la fois vital et spirituel.

    2.2.2. Le « bir » :

C’est un dispositif dédié à l’exploitation des eaux souterraines qui sont souvent saumâtres dans l’île. Il fait partie des composantes du jnen et de son exploitation agricole exclusivement. Le bir est un puits devant être assez profond pour atteindre la nappe phréatique. Il a un rôle fonctionnel mais aussi symbolique et signalétique. Sa forme  a été étudiée pour permettre d’y associer un système de poulie tractée à la force animale et utilisant des règles de la physique et de l’énergie cinétique. Mais ses « ailes » perceptibles de loin sont aussi un élément signalétique codifié et inchangeable.

Un Menzel peut renfermer plusieurs puits pour maximiser l’apport en eau proportionnellement à la taille de l’exploitation. Dans ce cas leur appellation se fait en rapport à leur localisation selon les points cardinaux : bir guebli (بير قبلي), bir chergui (بيرشرقي)… Le bir a aussi une fonction sociale comme repère et espace de rencontre des hommes du Menzel.

Fig. 4. Coupes sur une fesguia et un bir, Amira Ben Hassen, Mémoir d’architecture, ENAU,2019, p46-47.

    2.2.3. La « jabia » et le « sarout »:

Il s’agit d’un bassin d’eau à ciel ouvert attenant au puits et fonctionnant comme une première cuve de tri avant la distribution de l’eau à l’exploitation agricole à travers des canaux (sarout). Ce sont des composantes du système d’irrigation ancestral qui permet de préserver chaque goute d’eau avec un rôle purement fonctionnel et agricole.

L’eau douce, étant l’ingrédient indispensable pour assurer une pureté extrême, en plus d’être la première source de la vie, est le premier critère lors du choix de l’implantation d’un Menzel, ce qui rejoint les résultats des différentes observations et analyses anthropologiques de populations sédentaires. Ainsi, les habitants de l’île, qui en est peu pourvue, ont conçu tout leur système d’implantation et d’occupation du sol autour de sa thématique. La disposition des différentes composantes du Menzel est régie par cette règle. Ils adaptent un même schéma organisationnel mais avec des variantes dictées uniquement par l’emplacement des sources d’eau disponibles et exploitables. La préservation de cette richesse est au centre des dispositifs et des équipements architecturaux mis en place.

Fig. 5. Le puits dans le Menzel, photos de l’Association de Sauvegarde de L’île de Djerba,2012.

3-L’échelle de l’habitation: Le Houch

3-1- Les composantes du Houch et son organisation :

Fig. 6. Elévation d’un houch, BOUSSOFFARA Fawzi, thèse d’architecture, ITAAUT, 1984, p31.

Le houch est un espace sacralisé par sa fonction symbolique (lieu de la procréation) mais qui reste régi par le souci d’utilité avec des composantes principales et d’autres secondaires. Il doit assurer le déroulement de la vie quotidienne dans le confort et l’intimité. 

3-1-1-Le  « Oust el Houch » (le patio):

Le Houch est un espace centré autour de son « Oust el Houch » (centre de la maison). Ce centre se matérialise par un patio à ciel ouvert. Il assure la circulation et le lien entre les différentes autres composantes et il se pratique comme la principale pièce de vie de la famille. Il est le lieu des réunions familiales et le lieu des activités ménagères journalières et saisonnières des femmes, loin de tout intrusion (lessive, préparation de provisions alimentaires,….). Il est souvent doté d’un petit bassin pour les ablutions et se trouve à proximité de l’impluvium.

Fig. 7. Relevé d’un houch, Ajmi MIMITA

Le patio est aussi la source d’aération et d’ensoleillement des pièces fermées et introverties qui l’entourent. C’est un exemple expressif de l’approche bioclimatique de ce type d’architecture vernaculaire qui exploite la connaissance approfondie des conditions climatiques locales et des matériaux disponibles pour assurer un assainissement des espaces clos, surtout avec un taux d’humidité dans l’air très élevé.

La pureté physique extrême exigée implique des espaces sains exempts de tout germe se profilant dans les milieux humides, alors que l’exigence d’une intimité absolue limite le nombre d’ouvertures. Ainsi, la ventilation se fait essentiellement à travers des processus ingénieux qui permettent le renouvellement de l’air et la purification des espaces sans risquer de les exposer à un regard indiscret. Ces processus font interagir les cellules de l’habitation avec le patio et son ouverture verticale vers le ciel. Ils font appel à des ouvertures et des lucarnes, de différentes dimensions, implantées judicieusement pour assurer le flux d’air nécessaire.

 Fig. 8. Coupes sur Houch El Azzabi et Bou Maaza montrant le caractère introverti, Amira Ben Hassen, Mémoire d’architecture, ENAU,2019 , p 118-119.

La ventilation est l’action qui consiste à créer un renouvellement de l’air, par déplacement, dans un lieu clos.

La ventilation naturelle se fait par ouvrants extérieurs ou via des conduits à tirage naturel. Pour assurer le déplacement de l’air dans cette architecture vernaculaire, on a recours à la convection naturelle, qui consiste à utiliser uniquement les transferts de chaleur et les courants d’air naturel (vents), pour initier le déplacement de l’air.

Un espace sain et hygiénique est un espace aéré par une ventilation qui permet de:

  • Renouveler l’air ambiant, lassainir, le dépoussiérer .
  • Assurer la climatisation du local.
  • Réguler le taux d’hygrométrie  (humidité).
  • Gérer la pression atmosphérique d’un lieu clos (en surpression ou en dépression).
  • Contrôle de la concentration du CO2 et des divers polluants  

Fig. 9. Schémas montrant le processus de ventilation par le patio, l’auteur, 2020.

L’ensoleillement, fort élevé dans la région, est essentiel à l’assainissement des espaces clos. Il est aussi assuré par le patio, en résolvant l’équation qui combine l’appel d’air frais et le dosage des rayons de soleil à introduire.

Le recourt au principe de l’inertie thermique des murs denses en pierres et le badigeonnage à la chaux blanche, combinés à une conception réfléchie des ouvertures diverses, assurent simplement et synchroniquement la fraicheur à l’intérieur des espaces et l’assèchement de l’air et des murs.

3-1-2-La (ou les) « Dar »

Cette habitation est composée de « Dar », une sorte de chambre complexe multi fonctionnelle, abritant, chacune, une famille avec un couple et des enfants célibataires. Elle se divise en quatre sous-espaces ; l’espace jour (oustia) où la famille se réunit et où dorment les enfants avec un passage vers le lieu de toilette «mestham» (une douche au dessous de la ghorfa) et celui de nuit (« dokkana »). La «gorfa » est aussi un espace intime en été mais sa fonction est essentiellement liée à l’aération puisque c’est la seule partie de la maison à posséder des fenêtres donnant sur l’extérieur et non sur le patio. La dar obéit à un même schéma organisationnel donnant une importance extrême à l’intimité et à la propreté qui est assurée, pour les espaces clos, par une bonne ventilation naturelle et une orientation judicieuse des masses.

Fig. 10. Coupe et plan d’une dar, Maher Ben Younes, 2016.

L’espace restreint du mestham (une salle d’eau sous la gorfa) est divisé en quatre sous espaces:

– un couloir central de distribution

– un coin isolé par un muret à droite de l’entrée et élevé de 25 cm pour abriter le feu et les marmites contenant l’eau chaude.

– une estrade élevée de 25 cm pour accrocher les vêtements sec et les serviettes

–  un receveur de douche à gauche et en bas de l’estrade pour se laver en s’aidant d’un récipient en poterie spécial pour la douche coincée en hauteur dans l’angle permettant un écoulement lent de l’eau en laissant les mains libres.    

Fig. 11.Le mestham et ses détails, schéma de l’auteur, 2020.

          

La « Dar » assure ainsi trois fonctions parmi celles traditionnelles d’une habitation; c’est un lieu de repos, de vie familiale et d’intimité corporelle. Elle exclue les fonctions de latrine et de cuisine, trop salissantes pour intégrer un espace qui doit être extrêmement propre et sain.

3-1-3-Les annexes: le ‘matbakh’ (la cuisine), le « makhzen » (magasin) et les latrines

Les annexes de l’habitation comme le « matbakh » et le « makhzen » ou la maison des invités sont éloignées du noyau par souci du respect de l’intimité sacralisée et protégée.

Fig. 12. Matbakh à l’extérieur d’un houch, photo de l’Association de Sauvegarde de L’île de Djerba, 2002.

Fig. 13. Coupes sur Matbakh d’un houch, Amira Ben Hassen, Mémoir d’architecture, ENAU,2019, p 118-119

3.2.  Hygiène et espaces domestiques:

Comme à l’échelle du Menzel, l’espace domestique du Houch est régi par la double exigence pureté/intimité élevée au niveau du sacré. L’intimité devant être protégée au maximum, cet espace est totalement introverti et excluant tout élément pouvant être susceptible d’abriter des étranger à la famille comme le « Makhzen Edhief ». Cette exigence se traduit en une contrainte pour la répartition spatiale des différents volumes et leur viabilisation dont essentiellement l’aération, l’ensoleillement, l’éclairage et la climatisation. La deuxième exigence d’une propreté physique extrême, primordiale pour assurer par conséquence une propreté morale sans faille, implique forcément des espaces sains et exempts de toute saleté.

Fig. 14. Coupes sur houch montrant l’intégration des fesguia dans l’espace domestique, Amira Ben Hassen, Mémoir d’architecture, ENAU,2019, p 118-119

En termes d’architecture, la solution réside dans la réflexion de la répartition des sous-espaces et des dispositifs de ventilation et d’ensoleillement. La répartition autour d’un patio à ciel ouvert permet de créer des façades intérieures pour compléter les façades presque aveugles du Houch. L’air et le soleil sont introduits dans les espaces clos par des portes et des fenêtres donnant sur le patio (sauf pour la gorfa) et par des dispositifs exploitant la hauteur et l’appel d’air par effet de cheminée.

Le climat chaud et humide privilégie l’approche d’été pour une conception bioclimatique, où le choix des matériaux et la combinaison ouverture/orientation est la première préoccupation. Les espaces sont isolés par des matériaux à forte inertie thermique (pierres calcaires) qui assurent un air à la fois sec et frais à l’intérieure. Ils deviennent naturellement climatisé par conséquence. Les formes de couvertures en voûte, coupole et plancher-terrasses jouent un rôle dans la ventilation ainsi que l’emplacement, la dimension et la forme des ouvertures.

La couleur blanche de la chaux, matériau naturel issu de roches calcaires, avec laquelle toutes les surfaces sont badigeonnées régulièrement, permet la réflexion des rayons de soleil et minimise l’importance des rayons absorbés. Elle agit comme une composante du système d’isolation thermique en plus de sa forte symbolique de pureté extrême (le blanc).

L’eau est précieuse et n’est pas utilisée pour rafraichir les espaces mais pour boire, laver et se laver uniquement. Sa présence dans le Houch est assurée par la fesguia (impluvium qui peut être multiple) à travers des contenants en poteries spécifiques pour chaque usage.

Conclusion:

L’étude des croyances humaines montre l’acharnement de l’Homme à chercher à dépasser sa condition humaine et à recouvrir la condition divine, à travers ses créations même inconscientes, dont l’architecture. Ce qui a été révélé par l’histoire de la fonction symbolique[1] qui a mis en évidence la primauté des renvois au spirituel. L’architecture est donc une synthèse qui doit être appréhendée en tant que système complexe, où chaque espace renferme trois types de significations; la première est relative aux phénomènes physiques, la deuxième à ceux sociaux et la troisième à la spiritualité. La variation de l’un des paramètres appartenant à un ou plusieurs de ces catégories phénoménologiques peut induire des changements fondamentaux dans l’architecture.

D’où l’intérêt de notre approche anthropologique qui s’intéresse alors, parmi d’autres, aux rites et aux habitudes socio traditionnelles. Elle a pour objet les formes sensibles et vécues de la spatialité[2]; un produit ne peut être effectivement compris et saisi qu’à partir de ce dont il est issu ou à partir de celui qui l’a produit. Nous considérons, ainsi, l’architecture comme un agencement d’espaces réfléchis et comme conformations de configurations de lieux.

Cette Architecture produit une image, une enveloppe avec des solutions techniques parfois très ingénieuses, mais qui émanent surtout du vécu et qui s’y insèrent. Les matériaux y sont utilisés en fonction de leurs caractéristiques physiques, chimiques et mécaniques à travers l’expérience et l’observation et sont adaptés aux facteurs culturels et économiques; l’architecture est une mise en forme d’un monde idéel. Elle représente une vision microcosmique d’une réalité macrocosmique. C’est en quelque sorte une mise en ordre du monde profane et une mise du sacré au profane, transcendant l’idéal et l’idéel dans une construction humaine matérialisée par l’architecture. C’est à travers la définition existentielle des espaces de la quotidienneté que nous retrouvons les traces de la manifestation implicite ou explicite du sacré dans le profane.

Le paysage architectural de l’île de Djerba se présente sous un aspect sculptural et massif avec une couleur blanche unifiante, pure et sobre. Les divers édifices y témoignent d’une exigence fonctionnelle qui élimine tout superflu et se limite à l’essentiel. L’ingéniosité des solutions et leur souci d’économie va de pair avec l’esprit de la société qui les a engendré. Une même unité d’expression se dégage à travers sa diversité renvoyant à un caractère commun identitaire construit autour de la dualité intimité/pureté.

Cette représentation de la pureté s’appuie sur l’essentiel, l’essence, le centre et le nécessaire. Juste l’utile, sans rien ajouter, sans que le souci du beau soit affiché ou conscient, seul le souci de préserver la pureté et l’intimité est recherché. L’espace construit devient une résultante évidente d’un être réfléchi des choses. La pureté physique des lieux et des espaces est le reflet de la pureté physique, et par conséquent morale, de ses habitants. L’hygiène, comme principe du quotidien, se voit ainsi élevée au niveau du symbolique et du spirituel.


[1] La conception symbolique c’est ‘Confier à un objet ou une représentation le poids d’une idée’. Cependant, le sacré étant indescriptible et indicible, ses approches ne peuvent donner lieu à des signes directement et totalement intelligibles.

[2] La spécialité est le processus de construction de l’espace et la médiation entre les hommes et leur espace.

[1] Parmi les sous-divisions ibadites, la plus considérable est Al-Ibadiyya Al-Wahbiyya au Maghreb. Les Wahhabites représentent la branche la plus nombreuse dans l’île de Djerba. Elle a persisté jusqu’à nos jours, avec les Nakkarites, les Halafites et les quelques Nafatites.

[2] Moncef Gouja, ‘Les communautés ibadites au Maghreb : réflexions sur leurs rapports au pouvoir, à la sexualité et à la mort’,  revue ‘Culture populaire’,  Peuples méditerranéens N° 34, Janvier- Mars 1986, pp 49-63.


[1] PENEAU Dominique, « Du laconisme en Architecture ou le sacré, le savoir et la forme » ; Extraits de la thèse de doctorat, p 1.

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