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DDAR, Un manifeste… Une maison vernaculaire contemporaine près d’Essaouira

by Archi Mag

Par Othmane Bengebara, Architecte

Nichée sur un terrain de 10 hectares à flanc de colline, aux portes d’Essaouira, cette maison émerge du sol avec la sérénité d’un douar, village oublié, non pas comme une reproduction du passé, mais comme une audacieuse proposition pour l’avenir. Conçu en étroite collaboration avec les propriétaires, un marchand d’art et une artiste, ce projet s’appuie sur une volonté commune de construire une maison non seulement adaptée au climat et à la culture locale, mais aussi façonnée collectivement – ​​une maison imprégnée de savoir-faire, d’expérience et d’histoires.

Dès le départ, l’objectif était clair : créer un espace en harmonie avec son contexte géographique et humain. Nous nous sommes tournés vers la « Regraga », une communauté autochtone dont le lien intime avec cette terre se transmet de génération en génération. Avec les artisans et les bâtisseurs locaux, nous avons élaboré une démarche où artisanat, paysage et architecture s’entremêlent en un récit unique, puisant sa source dans l’intelligence du lieu.

Dialogue entre climat, matériaux et culture

Cette maison est conçue pour s’harmoniser avec le climat, et non pour le combattre. Sa forme et son orientation répondent directement au soleil, au vent et à la topographie. Plutôt que de recourir à des systèmes mécaniques, nous avons privilégié les principes bioclimatiques, profondément ancrés dans l’architecture vernaculaire, en collaboration avec des ingénieurs bioclimatiques.

L’espace de vie principal s’élève à six mètres, permettant à l’air chaud de circuler librement et de s’évacuer par de larges ouvertures. Une série de fenêtres accordéon et pivotantes, réalisées par un menuisier local à seulement deux kilomètres du site, permet de moduler la ventilation selon les saisons. Le bâtiment est alimenté à l’énergie solaire et un système rigoureux de gestion de l’eau a été mis en place pour s’adapter à l’aridité du site. Chaque décision a été guidée par la conviction que l’écoconception n’est pas une mode passagère : elle est l’essence même de l’architecture traditionnelle, redécouverte et réinventée pour notre époque.

Construit à la main, façonné par l’homme

Chaque surface a été façonnée à la main, à partir de matériaux naturels et locaux. De la terre crue aux assemblages de bois sculpté, chaque détail porte l’empreinte du geste humain. L’architecture ne se contente pas d’être vue : elle se ressent, se touche et s’imprègne dans la mémoire. Nous avons étendu cette approche artisanale à l’intérieur, en commandant du mobilier et des objets auprès de designers locaux et internationaux. Ces collaborations n’étaient pas purement décoratives. Elles visaient à faire revivre des savoir-faire en voie de disparition, à donner la parole aux talents émergents et à ancrer le projet dans un réseau dynamique d’artisans.

Un lieu de création et d’échange

Dès le départ, le propriétaire – collectionneur passionné et acteur du dialogue culturel – avait imaginé cette maison comme bien plus qu’un simple lieu de vie. Elle se voulait un espace de création, capable d’accueillir artistes, designers et penseurs. L’architecture se devait de refléter cette ouverture. Au cœur de la maison, le salon semi-enterré a été conçu comme un vaste espace de conversation autour d’une cheminée centrale. Ici, le regard ne se porte plus vers l’extérieur ni vers le haut, mais se fond dans le paysage.
« Quand on est assis plus bas que le sol », dis-je souvent, « on ne fait plus qu’un avec la terre. On n’observe plus la nature, on est dedans. »
La maison est ainsi à la fois protectrice et perméable – une boîte d’argile qui abrite le silence, tout en invitant au dialogue.

Dans cet espace, vous découvrirez une collection d’objets en constante évolution, témoignant de la richesse des échanges entre l’Afrique du Nord et l’Europe :

  • Vaisselle en céramique de Khalid Bouaalam
  • Couverts en cuivre argenté de Sara Moukhles (Maison du Bled)
  • Verres compte-gouttes de Timo Sarpaneva (1964)
  • Vases Sirène de Yamo (1989)
  • Mobilier de Samy Bernoussi (Hall Haus)
  • La chaise X et les jeux de backgammon, Jenga et cartes sur mesure en bois de thuya de Ben Elliot
  • Pièces d’archives rares de Philippe Starck, Jean-Louis Bonnant et Mathieu Matégot, célèbre pour avoir produit une grande partie de son mobilier au Maroc.
    Chacun de ces objets contribue à la narration à la fois discrète et riche de la maison, un récit qui relie passé et présent, mémoire et expérimentation.

Plus qu’une maison, un manifeste

Ce projet n’est pas un exercice de style. C’est une prise de position culturelle. Une réponse à une question que beaucoup d’entre nous se posent aujourd’hui : « Que signifie construire de manière significative, ici, maintenant, avec les personnes qui nous entourent ? À quoi ressemblera l’avenir ? »
Pour moi, la réponse a été de construire quelque chose de simple, de progressif et de collaboratif. De l’ancrer dans le savoir-faire local, de le façonner avec les outils de la main et de l’ouvrir à l’énergie artistique.

« Nous avons travaillé main dans la main », dis-je souvent. « Et au fil du temps, ces rencontres – certaines fortuites, d’autres profondément intentionnelles – ont donné à la maison son caractère : un lieu d’hospitalité, ancré dans l’art, l’artisanat et la création partagée. » Cette maison n’est pas qu’un abri. C’est une archive vivante, une résidence, un dialogue en terre cuite. Et surtout, c’est une invitation à repenser notre façon de construire, à ralentir et à renouer avec l’essence même de l’architecture : « un espace généreux pour la vie de demain ».

Cabinet d’architecture : Othmane Bengebara Studio
Architecte principal : Othmane Bengebara
Ingénieure bioclimatique : Yasmine Sebti
CAP INGENIERIE International : Brahim Gzouli
Travaux achevés en 2024

Othmane Bengebara est un architecte, designer d’intérieur et artiste franco-marocain, diplômé de l’École Spéciale d’Architecture de Paris et de l’Université Pontificale Catholique de Rio de Janeiro. Son travail se caractérise par une approche sensible et ancrée dans le réel, alliant expérimentation architecturale et recherche sociale et territoriale. En 2015, il a cofondé New South Collective, une plateforme dédiée aux enjeux contemporains des pays du Sud et au développement de nouvelles pratiques de design. Fort d’une expérience professionnelle de plus de dix ans, Othmane a collaboré avec des personnalités et institutions de renom dans les domaines de l’architecture et du design. Au sein du groupe LVMH, sous la direction de Peter Marino, il a participé à la conception de plusieurs boutiques phares Louis Vuitton en Europe, dont l’emblématique boutique de l’avenue Montaigne. Il a ensuite intégré le cabinet d’architecture privé de Sa Majesté le Roi du Maroc, où il a travaillé pendant six ans sur des projets d’envergure, parmi lesquels des résidences royales, des musées, l’hôtel Four Seasons de Rabat et le projet Canopy place Moulay Hassan à Rabat. Parallèlement, Othmane a développé une vision poétique et contextuelle de l’architecture à travers des collaborations, notamment la conception de la scénographie du pavillon ouzbek pour la Biennale d’art de Venise 2024 avec Adra Studio. En 2020, il a fondé Othmane Bengebara Studio, qui a depuis réalisé plusieurs projets d’envergure au Maroc pour des figures majeures de la scène artistique contemporaine internationale. Son travail se caractérise par une profonde sensibilité au paysage et une exploration du vécu. Chaque projet est conçu comme une composition unique et sur mesure, fusionnant architecture contemporaine et design d’intérieur.

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