Accueil » « Coupables jusqu’à preuve du contraire. » Rôles, droits et devoirs des architectes

« Coupables jusqu’à preuve du contraire. » Rôles, droits et devoirs des architectes

by Ghada Chérif

De plus en plus, on entend parler d’affaires en justice impliquant des architectes d’une manière directe ou indirecte. Depuis plus d’une vingtaine d’années, nous percevons un état de non reconnaissance politique et sociale du rôle de l’architecte et qui s’accentue avec le temps. L’architecte de plus en plus écarté du processus d’urbanisation, est pourtant tenu pour responsable des maux des villes et des agglomérations.

Les arrestations des dernières semaines de 2024, impliquant des collègues architectes, nous poussent à réfléchir sur les rôles, les obligations, les droits et les devoirs de l’architecte en Tunisie.

Où commencent et où se terminent leur Responsabilités et en quoi consistent leurs droits? Sont ils coupables à n’importe quelles circonstances?

Des questionnements qui nous poussent à essayer de réaliser une analyse objective du métier d’architecte en Tunisie. Ce qui n’est pas évident si nous considérons un unique point de vue. C’est dans le cadre d’un débat constructif, informatif et réfléchi sur la législation existante et l’avenir du métier d’architecte dans notre pays que nous avons organisé une rencontre architecturale ouverte au public le mercredi 11 décembre 2025 à Dar Achour.

Pour bien cerner les responsabilités juridiques et morales de l’architecte, nous avons eu le plaisir d’inviter des présidents et des membres de différents anciens conseils de l’Ordre des Architectes de Tunisie. Leurs connaissances et leurs expériences les ont confrontés aux différents domaines juridiques, économiques et civils en rapport avec la profession. Leur donnant, ainsi, une vision large de la responsabilité de l’Architecte englobant différentes échelles.

La présence d’architectes représentants différents profils et quelques étudiants-architectes nous permettait de percevoir d’autres volets des responsabilités de l’architecte à travers les difficultés rencontrées dans l’exercice professionnel et académique.  Le public ne se limitant pas seulement à la corporation des architectes, nous permettait de percevoir le regard des autres, leur perception de la profession d’architecte et la responsabilité qui en découle. Une responsabilité dont il fallait déterminer les frontières. Nous étions contents de compter aussi parmi nous des personnes intéressées par notre rencontre: des universitaires, des chercheurs et des personnalités politiques qui ont eu à gérer des projets publics avec des architectes et leur corporation

Notre débat a débuté par la présentation de monsieur Sadok Chaieb de la thématique et des principaux intervenants:

– certains anciens présidents de OAT, Taoufik Bouslama, Taoufik El Euch Karim Ellouze et Leyla Ben Jeddou,

– certains anciens membres de conseils de l’OAT, Amine Halouani et Samy Ateb

– professeur Ali Djerbi qui a longtemps enseigné à l’ITAAUT puis à l’ENAU.

Malheureusement, les membres de l’actuel COAT ne pouvaient pas être présents à cette rencontre puisqu’ils avaient des engagements au même moment.

Monsieur Taoufik Bouslama avait commencé par nous exposer la difficulté de cerner les limites de la responsabilité de l’architecte. Par sa maîtrise des textes juridiques, mais aussi par sa grande carrière professionnelle, il nous a permis de comprendre pourquoi « Les responsabilités de l’architecte sont énormes ». Pour lui la difficulté de cerner les limites de ces responsabilités réside dans la définition de du métier de l’architecte. Et tant qu’il n’y a pas de « (…) définitions exactes de l’architecte nous ne pouvons pas nous protéger. ». D’après monsieur Taoufik Bouslama, c’est à cause de « ce manque d’exactitude »  qu’ « il n’y a pas de textes de lois qui nous protègent correctement (…)»

L’architecte a «une responsabilité de résultat» liée aux différents aspects perceptibles du projet et à toutes les incidences qu’il peut avoir sur la vie au quotidien, à long terme et à court terme. Il ne s’agit plus ainsi, d’une simple responsabilité structurale et constructive d’un bâtiment mais aussi, une responsabilité en rapport avec son usage et donc sa fonctionnalité, son ergonomie, son ambiance acoustique, thermique, la symbolique à laquelle il renvoie, le confort psychique …

Monsieur Bouslama nous a aussi éclairés sur le décret 78 qui protège certaines sdministrations et en aucun cas l’architecte. Ni d’un point de vue législatif, ni d’un point de vue économique.

Face à l’absence d’un tribunal spécialisé, notre seule protection résiderait dans la rédaction de PV de réunion ou de chantier à élaborer avec rigueur, dans les règles de l’art, sur place et à signer par les différents membres présents. 

nous n’avons aucun texte de lois pour protéger l’architecte lors de la pratique de sa profession. Au contraire, si un architecte donne même un conseil qui s’avère non satisfaisant, il pourrait être jugé puisqu’il est « responsable de résultat ». Connaître ses obligations par mission, par rapport aux maitres d’ouvrage et par rapport aux collègues peut permettre à l’architecte de se protéger et de protéger les autres.

Ces remarques soulignent encore le fait que l’architecte a «une responsabilité de résultat». Ainsi, même s’il n’a pas la mission de suivi de chantier, il en est responsable. Il est donc « … coupable jusqu’à preuve du contraire. »

Pour le professeur Ali Djerbi, la responsabilité de l’architecte est étroitement liée à sa non- définition. Le fait qu’on « ne sait plus ce que c’est qu’un architecte. », rend impossible la précision des limites de ses responsabilités et de ses droits.  Cette problématique n’a cessé d’être évoquée et discutée depuis la naissance du métier d’architecte. Il se réfère à Vitruve qui avait parlé des mêmes problèmes que ceux que nous vivons. L’architecte par ces œuvres, ses réflexions et ses stratégies peut avoir des influences sur différents aspects de la vie au présent et au futur. Et, en tant que porteur de projet, son initiateur et coordinateur avec les différents intervenants, il a besoin d’avoir recours à plusieurs champs de connaissances en perpétuelle évolution. Cette complexité de la tâche expliquerait le flou autour du métier presque insaisissable.

Avec l’intervention de madame Leyla Ben Jeddou, nous percevons encore plus l’absence du moindre droits de l’architecte en tant que professionnel. Les seuls droits qu’il peut avoir sont ceux civiques à l’exception du droit d’être innocent jusqu’à preuve du contraire.

Les interventions des messieurs Amine Halouani, Karim Ellouz et Sami Ateb expriment le besoin d’impliquer l’architecte dans la contextualisation des textes de lois. Ce qui n’est pas évident face à la résistance des représentant de certaines corporations redoutant d’être alors dépouillés de certains avantages qu’ils ont acquis lors des décennies précédentes au dépens des architectes.

Les interventions des collègues qui ont interagit lors de cette rencontre décrivent l’alarmante situation des architectes tunisiens dans leur quête quotidienne d’une reconnaissance existentielle. Face à des responsabilités sans limites qui deviennent lourdes de jour en jour, leurs droits rétrécissent de plus en plus atteignant le néant, les mettant dans une situation de survie précaire.

En effet, il ne faut en aucun cas prendre les grandes réussites de certains confrères comme un état général des différents membres de la corporation. L’architecte écrasé par des obligations sans fin est devenu le « bouc émissaire » à tous les maux urbains et non urbains dus aux mauvaises gestions d’autrui et à des stratégies incomplètes et avortées de plus d’une cinquantaine d’année. Le rôle sociétal de l’Architecte est de plus en plus mis en cause par les interventions anarchiques de certains intrus à la profession. Mais, la négligence l’ignorance et la soumission de certains architectes y contribue aussi. “On récolte ce que l’on sème! mais,  il ne faut pas que certains subissent ce que d’autres ont semé. ”

Loin de nous la résiliation à se morfondre et à se lamenter sur une situation alarmante, nous ouvrons le débat sur d’éventuelles stratégies qui nous permettront de sortir de cette situation. 

C’est pourquoi par cette rencontre architecturale, nous avons essayé d’avoir une idée générale sur les droits et les devoirs de l’architecte. Nous espérons qu’à travers les prochaines, nous pourrons débattre dans ce sens à fin de déterminer les processus qui peuvent nous aider à revaloriser le métier d’architecte et à mettre en valeur l’architecture tunisienne. 

Related Articles

Leave a Comment